Nick, étudiant franco-ontarien de 19 ans, espère faire carrière un jour en droit international. Charmant et trilingue, il a des yeux bruns et le regard perçant. Mais ce n'est pas la seule chose perçante à son sujet. Nick s'est aussi fait percer les oreilles, la langue, le bout des seins et le scrotum. « J'imagine que c'est une façon de m'exprimer », dit-il. Cet été, Nick a travaillé dans la salle à manger d'un grand campement familial près du parc Algonquin. Jusqu'à 80 % des 70 membres du personnel, âgés entre 16 et 22 ans, s'étaient faits percer à plusieurs endroits, les plus communs étant les sourcils, le nombril et la langue. « Ce n'est ni une manie ni une tendance », affirme Tom Bradza, propriétaire de Stainless Steel, un studio de perçage de la rue Queen à Toronto. « Le perçage a toujours existé et est primal. » Beaucoup de jeunes partagent cet avis. Bien qu'il n'existe pas de statistique sur le perçage, la multiplication des studios de perçage dans la plupart des grandes villes canadiennes indique que cette pratique gagne en popularité.
L'émergence du perçage comme tendance populaire est assez récente dans les sociétés occidentales, selon le Guide de prévention des infections de Santé Canada. M. Brazda, qui a récemment parlé des « parures tribales » à l'occasion d'une conférence à l'Université de Guelph sur la sexualité, attribue au magazine National Geographic - et à ses photos sur les tribus africaines - l'introduction du perçage dans l'Ouest.
La documentation sur les incidences médicales du perçage est très limitée, mais Santé Canada rapporte qu'on a noté beaucoup de complications. Les risques liés au perçage (selon la partie du corps concernée) sont des pathologies comme :infection du tissu profond, saignement abondant, tissu cicatriciel, blessure à la glande salivaire, érosion cornéenne ou infection de l’oeil, perte de sensation localisée au niveau du front, kyste ou abcès sous le mamelon susceptible de nuire à l'allaitement maternel plus tard et dommage à l’urètre. Les dentistes rapportent d'autres risques liés au perçage de la langue, notamment la dent ébréchée et l'obstruction des voies aériennes due à l’aspiration du bijou ou au gonflement de la langue. Une enquête menée auprès de 51 personnes s'étant fait percer la langue a permis de constater que 13 d'entre elles ont rapporté des dents endommagées, 8 ont remarqué une salivation accrue, 4 ont eu des lésions à la gencive, 3 ont développé une infection et 2 ont reçu des soins médicaux ou dentaires. Un compte rendu présenté à l’assemblée annuelle de l’Association canadienne de dermatologie tenue en juin à Montréal a révélé que les dangers liés au perçage comprennent les réactions allergiques, les déchirures cutanées, les cicatrices et même les maladies comme l’hépatite B ou C. Dre Danielle Marcoux de (Hôpital Sainte-Justine de Montréal a déclaré à cette conférence que les médias présentent l'art corporel comme une procédure sans souci et sans risque, alors que « dans certains cas, la mode est très passagère et les dommages permanents ». L'un des inconvénients du perçage est la chéloïde. « C'est probablement la lésion la plus défigurante avec une énorme excroissance cutanée due à un processus de guérison anormal, » affirme la Dre Lynn From, présidente de l'Association canadienne de dermatologie. « Les jeunes gens n'auraient certainement pas commencé à s'adonner au perçage en sachant qu'ils se retrouveraient avec des tumeurs ressemblant à un chou-fleur. » Alors, au regard des risques, pourquoi les adolescents s'adonnent-ils à cette pratique? Nick s'est fait percer les oreilles à 16 ans, en partie pour imiter ses amis. « Je pensais que cela faisait bien à la plupart de mes amis. » Plus tard, il s'est fait percer sous les lèvres, mais l'orifice s'est rempli depuis. Ce perçage lui a posé particulièrement problème parce qu'il a commencé à « ronger » l'intérieur de sa gencive. Il s'est fait percer la langue, les mamelons et le scrotum. En trois ans, il a visité le studio de perçage à six reprises. Il pense que le perçage donne une bonne image de soi et qu'on se sent bien. « Quand on fait de la planche nautique (wakeboard) et qu'on porte une belle culotte isothermique, cela fait bien de porter un anneau au mamelon,» dit Nick. « Nous regardons des magazines et voyons des gens cool qui portent un anneau a mamelon et gagnent plein d'argent. » Il compare le perçage à l'achat d'une nouvelle paire de chaussures. En général, chaque perçage coûte entre 30 $ et 70 $, incluant l'anneau. Les jeunes considèrent le perçage comme une façon de porter des bijoux. « C'est comme porter une bague au doigt », dit-il. Mais il admet que la pratique choque encore beaucoup d'adultes. « Mon perçage ne regarde personne. Les gens ne devraient pas s'en faire. Devrais-je m'énerver parce que je n'aime pas la couleur des cheveux de mon voisin? » « Le perçage semble plus populaire parmi les jeunes, mais il se pratique dans tous les groupes d'âge », affirme M. Brazda. « Des médecins, des infirmiers, des avocats, des jeunes des écoles et des universités s'y adonnent. La tranche d'âge va de 16 à 85 ans. La réalité est qu'un grand nombre de personnes plus âgées portent des choses qu'on ne peut voir - perçage au niveau du sein ou des organes génitaux. Les jeunes semblent aimer se percer les sourcils, les narines et les lèvres, « alors que la plupart des moins jeunes ne peuvent pas se le permettre à cause de leur milieu de travail ». Le perçage de la langue est aussi très en vogue. « On a (impression d'avoir un bonbon en permanence dans la bouche », déclare M. Bradza. « Le perçage du nombril demeure très populaire et celui des organes génitaux gagne aussi en popularité parmi les hommes et les femmes, dit-il, principalement pour la stimulation. » Chez les hommes, « c'est aussi comme une médaille; les gens pensent que quiconque a un perçage à cet endroit doit être brave ». M. Brazda dit que le secteur du perçage n'est pas réglementé par le gouvernement. Il conseille aux gens de fréquenter les studios recommandés par un tiers et où ils se sentent à l'aise. Les tendances futures? « En France, les gens se percent carrément la joue » , déclare Nick.
Tiré de: Familles & Santé, Vol. 13, Septembre 2000