Adolescence au risque de la vie: adolescent, questions de familles

Charles Bru, directeur départemental de la Protection judiciaire de la jeunesse du Nord
Geneviève Cresson, sociologue, enseignant chercheur à l'Institut fédératif de recherche sur les économies et les sociétés industrielles (IFRESI), Lille

Fin des années 1990, la Fondation de France et l'École des parents et des éducateurs Ile-de-France ont organisé un cycle de conférences-débats portant sur l'adolescence. Destinées aux parents et aux professionnels, ces rencontres ont eu un succès tel que le texte des interventions nous a été demandé par des personnes et organismes ayant ou non assisté à ces conférences. La Fondation de France est particulièrement présente auprès des jeunes et mène un programme spécifique sur la santé des 13-25 ans. De son côté, l'École des parents et des éducateurs l’Ile-de-France organise auprès des jeunes et des professionnels de la famille, des consultations, des formations et des conférences.

Annick Roussel, directrice du CIRM (Carrefour d'initiative et de réflexion autour de la maternité, l'enfance, la vie affective et sexuelle)

Ce soir, nous allons envisager la question de la famille. Même si nous venons de milieux différents, nous avons en commun que nous faisons tous partie d'une famille. Chacun de nous dans cette salle est acteur dans une famille, que ce soit celle dont il est issu, celle que nous avons créée ou celle que nous voyons changer. La famille est un lieu de tous les possibles, de tous les impossibles parfois, un lieu de cadre, un lieu de la loi. À ce propos Monsieur Bru nous rapportera l'action de son service auprès de ces familles où la loi n'est pas toujours respectée.

Pour l'adolescent, la famille est souvent lieu de confrontations, lieu d'échanges, parfois lieu de non-dits, de lourds secrets, de malentendus, lieu d'émotions, lieu de séparations mais aussi lieu de retrouvailles.

L'adolescence est le moment des hypothèses et le moment où, en posant ces hypothèses, l'adolescent en tire les conclusions sur le monde ou la famille.

Je terminerai avec la parole d'un thérapeute familial: « Si nous pouvions abandonner nos vieux schémas de familles perturbées, dysfonctionnantes, pour chercher la compétence des familles, nous pourrions découvrir alors des personnes désireuses de collaborer, capables d'affronter la crise, non pas de l'adolescent, mais la crise d'adolescence et suffisamment créatrices pour découvrir leurs propres solutions » .

Geneviève Cresson

J'ai choisi de vous parler de la famille en général - et non pas en particulier des familles en difficulté - pour vous donner quelques indications de cadrage et quelques points, issus des recherches récentes.

L'autre intervenant parlera d'avantage des familles à situations problématiques.

J'organiserai mon propos en deux parties à peu près égales : dans la première je vous rappellerai des choses issues de recherches et d'analyses récentes, dans la dernière partie je m'attarderai sur une expérience qui a été faite dans la banlieue nantaise autour de la revalorisation du rôle d'adulte des parents, et des conséquences que ça a pu avoir dans un quartier en difficulté. La première chose à rappeler est que la famille contemporaine des adolescents et des jeunes adultes se caractérise par deux grandes notions : la démocratisation et le soutien à l'intérieur de ces familles.

La démocratisation : plusieurs auteurs (dont Michel Fize) l'ont étudiée, analysée et nous montrent que, depuis les années soixante, on a vu baisser progressivement un modèle autoritaire de la famille. Des années soixante-dix jusqu'au début des années quatre-vingt-dix on a eu un modèle plus libéral, et depuis 1990 le modèle est davantage centré sur l'autonomie des jeunes à l'intérieur de la famille.

On est donc dans un groupe de plus en plus démocratique, où l'autorité des parents est de moins en moins imposée aux enfants, où la négociation devient de plus en plus importante, de même que la prise en compte des désirs, des souhaits, de la personnalité propre de chacun, aussi bien pour les enfants que pour ceux qui sont en train de devenir adultes.

La deuxième chose sur laquelle il faut insister : le soutien important que l'on reçoit de sa famille. On parle régulièrement de la mort de la famille, mais il ne faut pas oublier que la famille remplit de plus en plus son rôle social de soutien et rend un certain nombre de services, directs, matériels, immatériels, émotionnels ou relationnels de façon importante aux enfants. Quelques données de cadrage sur le pourcentage des jeunes qui vivent encore dans leurs familles à des âges de plus en plus avancés : entre 20 et 24 ans la moitié des jeunes vivent encore chez leurs parents ; entre 25 et 29 ans, à peu près un garçon sur cinq, et une fille sur dix vivent encore chez leurs parents.

Donc, une partie importante de la vie quotidienne est prise en charge par les parents. Le soutien n'est pas seulement matériel, il est aussi relationnel, et toutes les données sur la délinquance des jeunes montrent que l'une des raisons pour lesquelles il y a moins de délinquance chez les jeunes de classes moyennes ou supérieures, c'est que les parents ont un capital relationnel important et savent ce qu'il faut faire pour « débrancher » un conflit qui commence (vol de mobylette, effraction...).

Le capital relationnel c'est aussi les parents qui mettent en contact leurs enfants avec leur milieu professionnel, leurs relations amicales etc. Une des crises du monde ouvrier actuellement, c'est qu'en perdant leurs emplois ou en vivant dans des régions où l'on n'embauche plus de jeunes, les parents ouvriers perdent l'usage de ce capital relationnel.

Le soutien est aussi au niveau de la santé, les parents sont officiellement les premiers éducateurs de la santé de leurs enfants, même si ça peut être parfois contradictoire. Le soutien c'est aussi le contrôle, variable selon l'âge de l'enfant, de leur environnement : surveiller les relations, les sorties. Le contrôle est beaucoup plus ouvert, plus souple dans les milieux favorisés et beaucoup plus craintif dans les milieux populaires, surtout pour ceux qui habitent dans des quartiers en difficulté et qui ont peur des mauvaises influences que peuvent recevoir leurs enfants.

Le soutien c'est aussi la transmission d'un certain nombre de valeurs. Il a été démontré que les valeurs des enfants étaient très proches de celles de leurs parents en terme politique, et pas seulement en termes de choix électoraux. Des analyses montrent bien que ce que l'on appelle le fossé des générations, n'est en aucun cas une opposition entre les valeurs des enfants et celles de leurs propres parents. C'est souvent une opposition entre les jeunes en tant que groupe et un petit groupe d'adultes qui a le pouvoir et qui représente le pouvoir au yeux des jeunes. Le conflit des générations n'est pas un conflit ouvert entre parents et enfants à l'intérieur d'une même famille, mais un conflit beaucoup plus général entre les jeunes et une partie de la société qui leur ferme les portes d'accès aux emplois par exemple.

Une fois que l'on a parlé de ce soutien et de la démocratisation à l'intérieur de la famille, je crois qu'il faut rappeler que la démocratisation va se traduire par la nécessité d'installer des bonnes relations entre enfants et parents et par la nécessité d'avoir de nombreux échanges à l'intérieur de la famille. Il n'y a pas de famille démocratique si on ne parle pas beaucoup avec les enfants. Donc la démocratie est un lieu d'échanges intenses entre les différentes générations d'une même famille.

L'autonomie des enfants suppose de nombreux échanges, on ne devient pas autonome sans être entouré. Donc l'installation de bonnes relations entre parents et enfants va devenir une priorité aux yeux de parents d'adolescents. Cette bonne relation va être conçue de façon globale, on parlera du bien-être de l'enfant en général, et non pas de besoins spécifiques en termes de santé par exemple…

Il existe cependant des priorités à l'intérieur de cette démocratisation selon le type de famille et en particulier selon le milieu social. On peut en particulier relever plusieurs différences entre les parents de catégories moyennes et supérieures et les parents de milieux populaires. La première différence concerne le type de personnalité que l'on souhaite voir se développer chez l'enfant.

Dans les catégories moyennes et supérieures, on mettra l'accent sur ce que l'on appelle : « l'autorégulation » , c'est-à-dire l'aptitude de l'individu à définir ses propres buts et à s'y tenir : savoir décider soi-même son objectif et se donner les moyens de l'atteindre.

Dans les milieux populaires au contraire, on va plutôt mettre l'accent sur l'accommodation, c'est-à-dire l'aptitude à se plier aux contraintes extérieures, à s'adapter à des buts que quelqu'un d'autre choisit pour vous, qui sont définis ailleurs, et pour lesquels on se mobilise bien qu'on ne les ait pas définis. Donc le type de personnalité projetée va être différent selon les milieux sociaux. De ce fait, les craintes des parents telles qu'elles vont s'exprimer seront différentes.

Les craintes des parents des classes moyennes et supérieures seront surtout que leurs enfants se démotivent, perdent leur objectif ou l'énergie nécessaire pour atteindre cet objectif. Du côté des familles populaires, la crainte principale des parents reste que leurs enfants tombent dans la délinquance…

Tout cela va avoir une influence sur l'attitude éducative des parents et, en particulier, on verra que les styles d'influence que les parents vont privilégier auprès de leurs enfants sont différents.

Dans les catégories sociales supérieures on va insister sur l'influence par la relation, on va, en quelque sorte, essayer de remotiver par la parole, la séduction, essayer d'activer le jeune, de le motiver en influençant ses choix relationnels et d'activité.

Le type d'influence du côté des classes populaires étant plutôt un style « primaire » , on va intervenir en disant « non », en punissant, etc. La position des parents dans l'éducation de leurs enfants est donc une position différente. Tout cela commence avant la naissance et continue après l'adolescence. En particulier, l'importance du capital social et scolaire des parents va jouer sur plusieurs points qui sont cruciaux dans l'éducation des jeunes.

Plus les parents ont des ressources élevées, plus ils vont mettre l'accent sur l'information, la compréhension, la coopération avec l'enfant, et plus ils auront le sentiment eux-mêmes de leurs propres compétences. Plus les parents ont un capital scolaire, ont une bonne insertion professionnelle, plus ils vont accepter et même rechercher l'intervention des autres agents de socialisation à l'extérieur : l'école, les diverses institutions de prise en charge de l'éducation ou des loisirs des jeunes ou, en cas de besoin, les spécialistes, psychologues etc. Plus les parents ont eux-mêmes un capital scolaire développé plus ils seront ouverts et demandeurs avec ces agents-là.

Les parents des classes populaires ont fait d'avantage de mauvaises expériences et se méfient des intrusions de ces agents de socialisation.

L'image positive des copains est plus nette dans le milieu des classes moyennes ou supérieures que dans le milieu de classes populaires. Plus les parents se sentent menacés dans leur propre intégration ou dans leur propre insertion sociale, plus ils auront tendance à essayer de séparer leurs enfants de leurs copains, de leur bande et parler négativement de ceux-ci.

Des études très intéressantes ont essayé de montrer les variations du style éducatif dans les familles de milieux sociaux différents et les influences que ça peut avoir sur l'estime de soi de l'adolescent.

Une autre sociologue a travaillé sur le rôle de la famille dans la. promotion de la santé : la famille est à la fois un groupe en quête d'influence et un groupe qui garde des échanges intenses. La famille est un lieu de soutien important, et le soutien familial est par nature conservateur, c'est-à-dire que le soutien que procure la famille à ses membres est lié au retour de la famille. La famille est un groupe qui se reconnaît des droits à faire valoir auprès de la collectivité, mais en même temps c'est un groupe qui tient à sa responsabilité sur lui-même, à son autonomie, à sa liberté d'action, et on ne peut pas travailler valablement avec les familles si on ne se souvient pas que les raisons des résistances des familles aux interventions extérieures sont des raisons fondées. On en distingue trois principales : les familles craignent les influences idéologiques extérieures à celles de leurs lieux culturels ou de leur propres normes. Deuxième raison : les familles craignent d'être dépossédées de leur liberté d'action. Dernière raison : celles qui craignent l'intervention sont, le plus souvent, dans une incompréhension relative des mesures et des logiques qui fondent cette intervention. On retrouve là les différentes positions des parents selon leur capital culturel, leur position, la hiérarchie sociale.

Cette sociologue parle aussi de la nécessité de s'interroger, lorsque l'on intervient dans une famille, sur la qualité des services fournis par ceux-là mêmes (professionnels ou institutions) qui voudraient encadrer la famille, et sur la nécessité de s'interroger sur la conformité entre les règles et les normes promulguées officiellement et ce que l'on retrouve dans le fonctionnement réel de ces institutions. Elle souligne le fait que la contradiction existe à plusieurs niveaux. À l'intérieur de la famille, il y a des contradictions entre ce que disent et ce que font les parents, des contradictions entre les positions des hommes et celles des femmes (par rapport au corps, la santé, l'avenir), il y a aussi des contradictions qui viennent de l'extérieur, entre différents professionnels par exemple.

Parmi les oppositions que l'on va retrouver quand on parle des familles : on compte sans arrêt sur la famille et en même temps, on s'en méfie. Un sociologue, qui a fait une observation sur le service des urgences de l'hôpital d'une ville moyenne, montre à quel point, pour les professionnels du service des urgences, la famille à un rôle indispensable (des actes, présence auprès du malade), mais elle est en même temps embarrassante, on voudrait bien la mettre entre parenthèses.

On pourrait souligner aussi le fait qu'un certain nombre de catégories administratives sont en quelque sorte un déni de réalité. En ce qui me concerne j'ai trois enfants entre 18 et 25 ans et je fais partie de la catégorie des femmes seules sans enfants à charge. À la fois l'administration me sollicite sans arrêt pour des problèmes administratifs pour des enfants qui ne sont plus à ma charge et on me rappelle souvent que si je ne m'occupe pas d'eux, personne d'autre ne les prendra en charge.

Dans l'intervention auprès des familles, les travailleurs sociaux et médico-sociaux souhaitent souvent apporter des savoirs aux familles. Comment les sociologues parlent-ils de ces apports d'information que l'on peut faire aux familles en tant que professionnels ? Dans une enquête d'il y a quelques années, deux auteurs allemands ont dit à propos de l'éducation des parents : « Quiconque prétend vouloir transmettre le savoir aux parents devrait en principe fournir une triple légitimation. D'abord, apporter la preuve que les parents ont besoin d'une telle action, deuxièmement attester de la vérité du savoir scientifique que l'on se propose de leur transmettre, troisièmement, être à même de définir les diverses conséquences de l'utilisation concrète des savoirs ainsi propagés » . L'analyse qu'ils proposent, en particulier dans le domaine de la santé, montrent qu'il est bien rare que ces trois conditions soient remplies même si c'est beaucoup plus documenté pour le jeune âge que pour les adolescents, c'est-à-dire que l'on pourrait faire une interrogation systématique des savoirs que l'on essaye de transmettre aux parents d'adolescents et l'on retrouverait les phénomènes de mode, les phénomènes de transmission de l'information qui ne correspondent pas à un devoir chez ces parents-là.

Dans l'analyse des rapports entre parents et professionnels, un autre sociologue insiste sur le fait que le plus souvent, dans la relation entre celui qui distribue un service et celui qui le reçoit, la tendance est que ce soit celui qui donne ses services qui définisse les besoins de l'autre, et il explique longuement qu'il y a là des pièges importants. La définition du besoin par celui qui distribue le service est un risque parce que le producteur de service risque de définir le besoin de la personne qui est en face de lui en mettant les réponses qu'il veut apporter à ce moment-là. De façon schématique, le risque c'est que les professionnels définissent le problème du côté de l'individu qui est en face d'eux en disant : « Nous sommes la solution à vos problèmes, vous ne connaissez pas votre problème, vous ne pouvez comprendre ni votre problème ni sa solution, vous n'êtes pas aptes à savoir quelle est la bonne solution » . La lecture la plus correcte de ce système d'interprétation de la part des professionnels serait de dire : « Nous, en tant que professionnels, nous avons besoin de problèmes, nous avons besoin de vous dire lesquels, nous avons besoin de les résoudre à notre façon » .

Je voudrais terminer en évoquant une recherche récente qui a eu lieu dans la banlieue de Nantes dans une population en difficulté, où les travailleurs sociaux et les sociologues ont collaboré à une recherche assez originale dont l'objectif était de voir comment l'on pouvait renouer un dialogue entre les parents et les jeunes. Dans un premier temps on a constaté des différences entre les parents des jeunes délinquants et ceux des jeunes non délinquants. Les parents sont tous d'origine modeste. On voit de grandes différences s'agissant du réseau relationnel : les parents des enfants délinquants ont un réseau relationnel extrêmement réduit contrairement aux parents des non délinquants qui ont un réseau riche et vivant.

Le troisième critère important retenu est la position des parents vis-à-vis des problèmes du quartier. Dans le groupe de jeunes délinquants, on s'aperçoit que les parents ont un discours attentif, ils attendent la solution des autorités extérieures. Dans l'autre groupe de jeunes non délinquants, on s'aperçoit que les parents ont des idées et du savoir-faire et qu'ils ont des choses à proposer pour le règlement de ces questions. On a donc, d'un côté une situation d'impuissance sociale qui va se traduire par les problèmes chez les jeunes, et de l'autre une situation de puissance sociale.

Dans un deuxième temps, autour des problèmes qu'il y a eu dans ce quartier-là, l'enquête se continue en interviewant d'un côté les travailleurs sociaux et de l'autre les habitants. On s'aperçoit qu'au début de cette deuxième enquête, on est dans une impasse, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de dialogue, on est dans un procès d'intention réciproque. Du côté des institutions, on explique tout ce qui va mal par les caractéristiques de la population et celle-ci est quasiment entièrement définie par ses manques. Les réponses apportées consistent à combler ces manques par des interventions institutionnelles, par exemple en intervenant avec des psychologues ou des travailleurs de la santé spécialisés. Du côté des habitants, l'explication de ce qui va mal dans les quartiers est recherchée du côté des institutions : l'école ne fait pas son travail d'éducation et il est bien connu que les instituteurs préfèrent travailler dans les quartiers riches avec plus de moyens, plutôt que de travailler dans un quartier défavorisé où les parents ont l'impression que leurs enfants sont mal considérés par les institutions. Les enfants sont pris entre deux feux dans ce conflit : ils ont le sentiment (quand la relation entre parents et institutions se passe mal) d'être sommés de choisir, et le plus souvent ils choisissent le côté des parents, à tel point qu'on a pu parler de résistance culturelle.

Je conclurai en vous citant les recommandations de ces chercheurs pour la prévention de la délinquance.

Pour prévenir la délinquance, il faut :

Charles Bru

La question que l'on m'a demandé de traiter : « Adolescent, questions de familles » . Adolescent au singulier, « questions » au pluriel, « familles » au pluriel. Donc plusieurs questions, plusieurs familles, allez donc savoir !

Je traiterai ce thème à partir des adolescents que je connais le mieux, ceux qui sont confiés à la Protection judiciaire de la jeunesse. I1 s'agit d'adolescents en danger physique, en danger moral, ou d'adolescents dont les conditions d'éducation sont gravement compromises : ils sont battus, victimes de violences familiales, d'abus sexuels, mais aussi d'adolescents qui ont transgressé la règle de droit en commettant des infractions, des délits, on les appelle des jeunes délinquants. Ceux-là me sont confiés par les magistrats au titre de l'ordonnance du 7 février 1945. Les uns et les autres ont des difficultés à se construire, tous les adolescents en ont mais ceux qui nous sont confiés encore plus que les autres.

Je voudrais bâtir mon propos autour de deux questions avant de dire comment la PJJ (la Protection judiciaire de la jeunesse, au sens large du terme) essaie de répondre à ces questions. La première question est celle de la famille : celle où l'on naît ou celle où l'on est.

La deuxième question, c'est quand la famille est absente, défaillante, maltraitante, l'enfant ou l'adolescent est accompagné par le groupe social. Cette question devient alors question de justice quand les principes fondamentaux sont transgressés.

La famille où l'on naît.

La psychanalyse nous a appris combien les relations avec le père et la mère étaient importantes pour la construction du sujet. Si l'on sait combien la place de la mère est essentielle au développement de l'enfant, je voudrais aujourd'hui insister sur le rôle du père qui inscrit l'enfant dans le groupe social. Que dit le père ? Il dit qu'entre la mère et l'enfant, il y a les autres. Le père est porteur de la loi sociale, il dit la loi. Ce faisant, il introduit l'enfant dans la temporalité, dans la limite, dans la succession des générations, dans la filiation. Le père intervient pour dire que l'enfant n'a pas 1e choix : « Tu ne peux qu'accepter le contrat qui va faire de toi un humain » . En ce sens, le père pose les interdits fondamentaux. Le premier interdit « Tu ne tueras pas » , la loi dit que le contrat entre nous tous est de maintenir au loin de nos pulsions meurtrières l'emprise sur le corps de l'autre. « Tu ne voleras pas » , il y a aussi l'interdit de l'inceste mais je n'en parlerai pas. Les interdits et les limites vont permettre à l'enfant et à l'adolescent de prendre une place, la sienne. C'est sur ces bases que l'enfant grandira, s'inscrira dans la vie scolaire, dans la relation aux autres et deviendra à son tour adulte. Je pense plus particulièrement aux jeunes dont nous nous occupons et qui, vous l'avez bien compris, ne rentrent pas tout à fait dans ce cadre. Ces jeunes sont parfois un peu turbulents ou délinquants mais ce ne sont ni des caractériels, ni des délinquants, ni des toxicos. Ils traînent dans des quartiers dégradés, ils ont une scolarité désastreuse, pas de travail ni de perspective pour l'avenir. On peut sans doute les aider, les accompagner, susciter pour eux des activités, mais on n'a pas à les réparer parce que le problème n'est pas en eux, ce n'est pas un déficit qui leur serait propre et sur lequel on pourrait essayer d'intervenir. Ils manquent surtout des conditions minimales qui sont nécessaires à un sujet social pour qu'il puisse s'intégrer : une place quelque part. Ils forment au moins une partie de ceux que Jacques Dozlo appelle « Les normaux inutiles » ou que Robert Castel nomme les « surnuméraires » . Cela désigne ces gens paumés, flottants, sans protection et sans perspective, et qui sont moins des incapables que des laissés pour compte. Ils sont moins des invalides que des gens qui ont été invalidés par la nouvelle conjoncture sociale et économique depuis une vingtaine d'années. En face de cela , la logique de l'intervention sociale se sent sans doute impuissante. Quelle technique particulière leur appliquer ? Faut il défendre le jeune comme un cas, comme une population cible à traiter en utilisant des technicités particulières. Doit-on faire du jeune ou de l'adolescent un malade à soigner ? Cela l'insèrerait-il dans la société ? On ne peut être un individu, au sens positif du mot, que si l'on peut en même temps mobiliser des ressources, s'appuyer sur des supports, être inscrit dans des collectifs. Si l'on n'est pas inscrit, si l'on n'a pas de patrimoine, pas de bien, on est ce vagabond sans feu ni lieu qui devient souvent sans foi ni loi et qui finit aux galères. Aujourd'hui, la délinquance des jeunes est liée à leur absence d'être. Pour exister, ils ont besoin du délit, de la transgression, c'est leur mode de reconnaissance sociale. Ce sont des sujets construits autour d'un vide, en lutte permanente contre la désagrégation de la personnalité, victimes de carences affectives massives et dans l'impossibilité de plus en plus marquée de s'identifier à leur père. Ils posent des actes de plus en plus graves pour la société tout en étant incapables de se reconnaître comme leur auteur. C'est ce que Jean-Pierre Jaretier appelle les trois D : D comme déni, ils sont incapables structurellement de se reconnaître comme les auteurs des actes qu'ils ont commis et encore plus incapables d'appréhender les conséquences de leurs actes ; D comme défi, ils refusent toute forme d'autorité quelle qu'elle soit, et le rapport entre la haine de l'autorité et la carence paternelle me parait évident ; D comme délit qui, par l'acte posé, matérialise le déni et le défi. Ils ont besoin du délit et de la transgression pour se construire. Mais quand ils transgressent, c'est leur désir qui fait la loi, et leur toute-puissance les renvoie au vide, à l'absence de limites. La loi civile et pénale a aussi la fonction d'arrêter cette recherche zen. Plus on signifie avec force la loi à un individu dans la famille, dans la société, plus on lui signifie qu'il a sa propre place dans la société, et dans ce sens la loi est structurante pour l'adolescent. La loi institue la vie et la place. Pierre Legendre parle de la fonction parentale des états, l'échafaudage des normes fondées sur des représentations religieuses et politiques aboutit à un système normatif dont la cohérence définit l'humanité d'une société.

Que faire ?

Deux options sont possibles, l'une correctrice, l'autre réparatrice. L'option correctrice est à la mode dans l'opinion publique, elle fait appel à l'enfermement, au comportementalisme. Qui n'a pas entendu parler d'un jeune dans une cité qui, ayant volé une voiture, s'est fait arrêter par la police, a été présenté au tribunal et est rentré chez lui presque avant que la police ne soit rentrée au commissariat ! L'opinion publique souhaite la correction, l'enfermement, et ce n'est pourtant pas cette option qui est prise. Quand le jeune rentre chez lui, l'opinion publique ne sait pas qu'il y a peut-être quelque chose qui est fait tout de même pour ce jeune. Donc l'option correctrice est l'option qui, a priori, paraît répondre à la situation.

Nous optons quant à nous pour une option réparatrice qui demande du temps et la mise en place de stratégies complexes. Le travail avec l'autre en tant que sujet du droit, et non objet du droit, est long et difficile. I1 faut prendre l'adolescent comme acteur de son histoire. Ce faisant, nous allons aussi dans le sens de l'histoire. En effet, si l'on fait un rapide historique de la Protection judiciaire de la jeunesse, on évolue, dans le traitement de la délinquance juvénile, de l'enfermement - option correctrice s'il en est - aux prises en charge éducatives en milieu ouvert qui sont bien plus réparatrices. Un court historique de la Protection judiciaire de la jeunesse pour, justement, confirmer ce que je viens de dire. Pendant près de deux cents ans, l'enfermement a constitué une réponse aux problèmes de la délinquance juvénile. Depuis la libération, la loi et les pratiques lui ont substitué d'autres modes d'approche de type éducatif. Dès 1791 un texte révolutionnaire réglemente l'incarcération des mineurs. Pendant tout le dix-neuvième siècle, on distingue difficilement les mineurs reconnus coupables des mineurs relaxés et ceux qui, en dehors de toute infraction pénale, ne disposent pas de support familial prêt à assurer leur encadrement. Le cadre carcéral classique apparaissait souvent peu adapté aux mineurs. Des établissements spéciaux peu à peu fondés à leur intention (prison de la Petite Roquette en 1836) assurent la rééducation des enfants délictueux par le travail et l'apprentissage dans un cadre semi-ouvert, mais bien situé quand même dans l'option correctrice. Après 1945, ces maisons sont devenues les maisons de correction. En 1912, la loi de défense aux tribunaux pour enfants, juridictions spécialisées, applique aux mineurs délinquants des procédures spécifiques. En 1945 ont été créés les juges pour enfants et une administration spécifique d'éducation surveillée. L'esprit du texte de 1945 concernant les mineurs se différencie fondamentalement des orientations répressives d'antan. La voie éducative est la règle pour tous les mineurs délinquants, la sanction pénale l'exception. De même, autrefois simple service de la direction de l'administration pénitentiaire, l'éducation surveillée est instituée en 1945 en direction autonome, on reconnaissait sa vocation non plus répressive mais éducative.

I1 est nécessaire, si l'on veut comprendre les données du problème de la prise en charge de la jeunesse délinquante, d'avoir présents à l'esprit quelques chiffres concernant son importance : il y a environ chaque année 300 000 jeunes qui sont jugés par les juridictions spécialisées, par les tribunaux pour enfants. Sur ces 300 000, 250 000 sont des mineurs en danger, 50 000 des jeunes délinquants et à peu près 9 000 des jeunes majeurs. Toutefois il apparaît que cette distinction n'est que théorique, dans la réalité certains se sont trouvés en danger en raison de leurs situations douloureuses, certains de ces jeunes sont à la frontière de l'univers psychiatrique.

La direction de la Protection judiciaire de la jeunesse a pour mission d'assurer la prise en charge éducative des mineurs et des jeunes majeurs qui font l'objet d'une décision de justice. Elle repose sur une collaboration étroite entre l'autorité judiciaire et le secteur éducatif. L'originalité de la protection judiciaire en France tient à la volonté de créer un droit des mineurs unitaire, dont la spécificité est fondée sur l'appréhension de la personnalité des jeunes. Cette législation est appliquée par une juridiction spécialisée (les tribunaux pour enfants). La Protection judiciaire de la jeunesse se compose de deux secteurs : un secteur public minoritaire (à peu près 6000 fonctionnaires), et un secteur associatif prédominant qui est habilité par la Protection judiciaire de la jeunesse, financé pour partie et contrôlé dans la mesure où il concourt à la mission du service public. Ce secteur prend en charge les 2/3 des mineurs, principalement au titre de l'assistance éducative. Peut-être est-il important de préciser quels sont les modes d'intervention de la Protection judiciaire de la jeunesse.

Quelles sont les mesures pour aider les adolescents et leurs familles ? Majoritairement, il s'agit des mesures d'assistance éducative. Ce sont des mesures de suivi en milieu ouvert par un éducateur, car le mineur reste dans son milieu de vie. Ce sont aussi des mesures de placement dans des centres appropriés, dans des centres de formation professionnelle, dans des foyers, dans des familles d'accueil et aussi à l'aide sociale à l'enfance... Enfin des mesures en matière pénale, des actions de réparation, mesures mises en place depuis trois ans est qui sont très intéressantes parce que l'on prend en compte le jeune et le délit qu'il a commis.

Aujourd'hui, dans le traitement de la délinquance des mineurs, on dit souvent qu'un mineur peut voler jusqu'à trente voitures sans être jamais passé au tribunal pour enfants. Quand il y passe, il ne sait pas pour quel vol de voiture il est jugé ! Aujourd'hui, la mesure de réparation permet aux magistrats de dire la mission de réparation qui va être confiée à l'éducateur par le juge des enfants. C'est donc très officiel, et l'on dit aux mineurs que s'ils réparent le délit qu'ils ont commis, s'ils participent à un travail d'intérêt collectif, leur peine sera effacée. C'est une mesure intéressante parce que le jeune répare tout de suite l'erreur qu'il a commise. Il est très difficile de réparer tout de suite ce qui a été fait, sauf lorsqu'il ne s'agit que d'un petit délit (genre vol de mobylette), si le jeune travaille, il verse 500 f par mois pour rembourser petit à petit ce qu'il a volé, mais on pratique régulièrement la réparation indirecte, c'est-à-dire que le jeune qui a fait des tags va travailler dans le service municipal pendant deux ou trois jours pour aider les employés municipaux. Quand il s'agit d'un vol de voiture avec accident, nous avons passé une convention avec des hôpitaux à Lille : le jeune va accompagner une infirmière dans les services où sont soignés des accidentés de la route.

Les actions de réparation sont récentes et ont des résultats satisfaisants.

Toutes les prestations éducatives qui sont offertes au civil le sont aussi au pénal. On passe de l'option correctrice à l'option réparatrice, mais il y a toujours le retour de balancier. Les professionnels ont sans doute entendu parler de la création d'unités éducatives à encadrement renforcé qui sont à la fois réparatrices et très correctrices.

Je voudrais revenir à la famille pour dire que l'individu ne peut se construire sans une loi familiale établie et non transgressée. Si celle-ci est défaillante ou inexistante, c'est la loi de l'état qui peut remplir la fonction instituante de la vie. Il faut être conscient de cela : quand la famille est défaillante, c'est la loi de l'état qui remplit cette fonction. Encore faut-il que l'on soit à la hauteur de ce qui est attendu.

Le débat

Imaginez que dans dix ou vingt ans, les mêmes proposition soient faites à des adultes de trente ou quarante ans

Charles Bru
Il est vrai que la pratique actuelle d'incarcérer tous les majeurs qui ont commis des délits n'est peut-être pas la meilleure solution. Les travaux d'intérêts généraux, mis en place depuis quelques années en alternative à l'incarcération, sont une solution. On peut trouver d'autres solutions adaptées aux mineurs. Dans d'autres pays, les jeunes vont travailler la journée et sont incarcérés la nuit, le régime de semi-liberté y est beaucoup plus développé que chez nous.

Vous avez parlé du rôle du père. Comment pallier l'absence du père et faire en sorte que l'adolescent puisse trouver son équilibre ?

Charles Bru
Il me semble que l'absence du père est très difficile à pallier parce que la construction se fait autour d'un vide, autour de rien. Aujourd'hui, les adolescents qui ont connu leur père ou leur grand-père au chômage n'ont pas la valeur référentielle du travail. Ils ont connu leur père à la maison, inactif, ce n'est plus l'image paternelle d'antan...

Geneviève Cresson
A propos de la place du père, je n'arrive pas à adhérer au modèle qui nous a été adressé tout à l'heure. Je pense que la mère aussi inscrit l'enfant dans la loi. Si l'on prend au sérieux la notion de démocratie familiale et d'égalisation croissante des rôles de père et de mère, il faut que l'on accepte aussi de remettre cela en question.

Si le père n'est pas là, on peut intervenir en revalorisant cette image du père.

I1 me semble que parfois, nous, les professionnels, avons tendance à nous engouffrer dans des choses que nous entendons sur l'absence du père, et peut-être devrions-nous aussi écouter ce que les adolescents nous disent de leur père avant de parler du père absent. Je, pense que ce qu'ils disent de leur père est très important.

Charles Bru
Quand on travaille avec des adolescents en grande difficulté, ça devient souvent difficile parce qu'ils nous disent justement que de toute façon nous ne sommes pas leur père...

Geneviève Cresson
Le rôle du père est tout à fait capital et je crois que l'enfant a besoin d'avoir plusieurs adultes autour de lui.

Vous avez dit qu'il y avait deux sortes de familles qui réagissaient très différemment dans leurs manières éducatives. Comment faire pour que les jeunes se sentent à l'aise et puissent tirer profit au mieux des services que l'enseignement leur apporte ? Comment se développer le plus harmonieusement possible, être dans un bain culturel dans lequel ils puissent interagir. Comment les enseignants peuvent-ils s'adapter à des jeunes qui viennent de deux systèmes éducatifs différents ?

Geneviève Cresson
La richesse c'est que les enfants puissent venir de milieux différents.

Je crois que le mieux, c'est le partenariat, ne pas travailler seul, l'enfant habite dans un quartier où il a sa famille, où il y a des centres sociaux, des partenaires, toute une communauté éducative qui s'occupe de lui, de sa réussite scolaire et essaie de le faire devenir un véritable citoyen.

Les enseignants ne sont pas tous issus des mêmes milieux, ils ont des systèmes de valeur très différents en fonction de leur vécu. Les jeunes enseignants sont très déçus des conditions de travail qu'on leur propose et ils appréhendent leur métier. J'anime un groupe de travail sur la prévention de la violence. Quand les jeunes se sentent en confiance, ils libèrent beaucoup de choses vis-à-vis de leur vécu scolaire et familial. Je me suis rendu compte des différentes approches de la loi d'un jeune à un autre, d'une famille à une autre, et pas seulement selon leurs milieux sociaux.
Je voudrais parler des familles qui semblent fonctionner très bien en apparence, avec une respectabilité irréprochable, qui viennent nous voir avec des airs angéliques, et dont les enfants nous racontent une réalité très différente. Il y a des familles très perverses qui détruisent l'enfant, non pas par des violences verbales ou physiques, mais par des comportements, des approches éducatives qui sont irresponsables et lourdes de conséquences. Que faire de ces enfants-là ? Qui doit les prendre en charge ? Comment lutter contre ces problèmes-là ?

Geneviève Cresson
Je n'ai pas l'expérience de la pratique, c'est le rôle du psychothérapeute et non du sociologue. Il faut accepter les limites de la matière ou de la discipline qu'on représente. Je n'ai pas moi, en tant que sociologue, à dire au nom de quelle valeur on doit agir. C'est une discussion qui doit avoir lieu entre les citoyens. Je sais que la violence peut s'exercer dans tous les milieux ...

Je me souviens d'un adolescent qui témoignait de sa double rupture, celle d'avoir été séparé de ses parents maltraitants d'une part, et celle d'avoir été auparavant battu. La rupture a été la conséquence d'un acte judiciaire nécessaire. Il est important d'entendre ce que disent les enfants : s'ils ont l'impression d'être sommés de choisir, en général ils se rangent du côté de leurs parents et, malgré les contradictions, c'est un signe de bonne santé. Comment pouvons-nous être cohérents entre nous (les intervenants) pour participer à ce qui construit l'adolescent autour du pôle paternel qui est d'abord représenté par le père. La mère y participe dans un jeu de rôle complémentaire. J'ai beaucoup aimé que Geneviève Cresson définisse les limites de son rôle, nous participons à la construction de la loi parce que nous sommes repérants. Il est fondamental d'être acteur de loi et de ne pas renvoyer ça vers des dysfonctionnements familiaux ou des perversités que l'on constate.On parle beaucoup des garçons adolescents mais il faut aussi parler des filles.

Annick Roussel
Il me semble que c'est la façon dont la mère donne une dimension au père à l'intérieur de son discours qui est fondamentale. C'est-à-dire que ce qu'elle peut transmettre, et la façon dont elle peut parler du père, est important.

Pour parler de la violence des familles sous toutes ses formes : elle n'a rien à voir avec l'aspect extérieur de la famille et c'était peut-être un peu provocateur quand j'ai introduit mon discours en disant que la famille était le lieu de tous les possibles mais aussi de tous les impossibles, de toutes les paroles, de tous les échanges, c'est aussi le lieu de tous les non-dits. Je voudrais rajouter que c'est aussi le lieu de tous les secrets. Dans le secret il y a quelque chose qui peut être invalidant par rapport à la construction de l'enfant, à sa possibilité de passer du stade enfant au stade adolescent, au stade futur de parent. Cette chaîne de l'enfant au parent, nous ne pouvons pas l'oublier dans la mesure où nous parlons de famille. L'histoire de la famille intervient à chaque moment et est liée au passage de l'adolescent et à cette étape de la vie adolescente.

I1 me semble que pour qu'il y ait encore des adolescents plus tard, il faut que les adolescents d'aujourd'hui puissent se rencontrer. Nous sommes parfois confrontés à des situations de violence, de douleur, mais ce qui me frappe régulièrement lorsque j'écoute des adolescents c'est que, même si leur référence à la famille n'est pas extraordinaire, même s'ils expriment une sensation de manque (du père ou symbolique), on retrouve souvent chez eux cette « étincelle » , cette sorte de désir de rencontrer l'autre, et je pense que c'est très réconfortant pour les professionnels qui sont là.

Reproduit avec la permission de Geneviève Noel de la Fondation de France.