La prévention au masculin

Gilles Forget, Paule Masson, Marguerite Paiement,
Direction de la santé publique de Montréal-Centre

La prévention et la promotion de la santé sont des domaines qui touchent particulièrement les jeunes. En effet, il est reconnu qu'agir précocement contribue à l'adoption de comportements, d'habiletés et d'attitudes favorables à la santé et réduit les risques inhérents à certaines morbidités parmi les plus prévalantes chez les jeunes. Cependant, chercheurs et intervenants s'interrogent de plus en plus sur la capacité de ces différentes expériences à rejoindre et influencer les garçons comme les filles. Le présent article veut, à sa façon, contribuer à cette réflexion.

La santé et le bien-être des jeunes, le genre a-t-il une importance ?

Si les hommes et les femmes sont des êtres égaux, ils ne sont pas cependant des êtres semblables. Il existe bien sûr des différences d'ordre biologique et physiologique. Mais aussi, on remarque des différences entre les hommes et les femmes au niveau économique et social. Enfin, certaines de ces différences relèvent davantage de schèmes culturels propres à chacune des sociétés. S'il est facile de reconnaître ces différences chez les adultes, qu'en est-il lorsqu'il est question des jeunes ?
L'étude des données socio-sanitaires chez les jeunes de 5-24 ans nous donne certains indices. Les mortalités dues au suicide touchent presque exclusivement les garçons. On retrouve davantage de troubles de comportements, de violence et de difficultés de socialisation chez les garçons. Par contre, la proportion de jeunes filles présentant des phobies, des dépressions et des idées suicidaires est plus importante comme l'illustre le tableau suivant (voir tableau 1).

Tableau 1: État de santé et de bien-être, différence garçon-fille (6-24 ans)
Garçon Fille
Suicide +++
Phobie ++
Dépression majeure +
Trouble mental ++
Idées suicidaires ++
Hyperactivité +
Troubles de comportement +
Trouble d'opposition ++
Violence envers autrui ++
Retard scolaire ++
Décrochage scolaire ++

Ces données proviennent principalement de l'état de situation de la santé et du bien-être des jeunes montréalais, Direction de la santé publique de Montréal-Centre 1995.

Ces données nous amènent à penser que les garçons seraient plus affligés par des problèmes d'externalisation (violence, décrochage) que les filles. Est-ce que les programmes de prévention et de promotion de la santé doivent tenir compte de ces différences ?

La capacité des interventions à rejoindre les garçons

Un même programme peut-il rejoindre les filles et les garçons, les faire participer tout autant et obtenir les mêmes résultats peu importe le genre ? Pour répondre à ces questions, nous avons complété une revue de la littérature ainsi que réalisé des entrevues téléphoniques auprès d'informateurs clé.

Il est important de souligner que peu de recherches insistent sur l'analyse différenciée selon le genre. De la centaine d'articles portant sur l'évaluation de programmes de prévention auprès des jeunes, une vingtaine seulement nous informent sur les variations de la participation et des résultats des programmes selon le genre.

Comme la quasi-totalité des programmes évalués se déroulent à l'école, auprès d'une clientèle captive mixte, il est difficile de saisir leur capacité d'intéresser et de toucher autant les garçons que les filles. Disons en premier lieu que les différences en termes de participation semblent se manifester surtout à partir de l'école secondaire bien qu'on ait noté des différences selon le genre dans certains programmes destinés aux enfants du préscolaire et du primaire. De façon générale, les filles participent davantage surtout lorsque les programmes abordent certains sujet intimes tels la sexualité, les MTS et la contraception. Pour les informateurs clé, cette différence est possiblement due à la maturité plus précoce des filles et à leur capacité plus grande d'introspection. Pour les garçons, ces derniers seraient plus à l'aise lorsqu'on aborde les sujets d'une façon plus instrumentale, plus technique. La littérature et les entrevues mentionnent aussi des différences au niveau des comportements. Les garçons sont davantage turbulents et confrontants. Ils considèrent que les filles, contrairement à eux, ont tendance à répondre ce que les intervenants veulent entendre. Il ne faut pas oublier par contre que certaines différences ne concernent pas uniquement le genre. Par exemple, la diversité des cultures peut aussi faire varier la participation des jeunes aux interventions.

Des différences similaires sont constatées lorsqu'il s'agit des effets des programmes de prévention et de promotion de la santé. Il semble que ces programmes augmentent davantage les connaissances des filles que celles des garçons. La même tendance s'observe lorsqu'on évalue les attitudes et les comportements des jeunes, leurs effets semblent plus limités chez les garçons.

Des facteurs explicatifs

L'information recensée insiste peu sur les facteurs explicatifs des différences constatées. Nous proposons de regrouper ceux répertoriés lors de cette enquête selon les trois catégories suivantes : les facteurs liés à l'individu, aux interventions ou à la société en général.

Premièrement, les individus se développent différemment et à un rythme qui leur est propre. Il est donc difficile pour des interventions qui considèrent les adolescents comme un tout homogène d'intégrer ces différences dans une même intervention. Deuxièmement, en ce qui concerne les programmes eux-mêmes, la littérature et les évaluations portent principalement sur les programmes développés et implantés en milieu scolaire. Peu d'évaluations nous informent sur la portée des interventions en prévention et en promotion de la santé réalisées ailleurs dans la communauté. Il nous faut donc s'interroger sur la capacité d'autres types d'interventions de rejoindre, de faire participer et d'influencer les garçons tout comme les filles. De plus, on remarque que les programmes sont généralement développés et implantés par des femmes. Comment alors les garçons peuvent-ils s'identifier à des modèles masculins ? Et, est-il nécessaire que les garçons aient un modèle à qui s'identifier ? Finalement, au niveau social, les stéréotypes sexuels demeurent très importants et touchent aussi les programmes de prévention et de promotion de la santé. Comme le remarque certains auteurs, si les attitudes demeurent stéréotypées chez les jeunes, c'est que la société continue à véhiculer un double message par rapport aux rôles sexuels. Par exemple, la société veut que les garçons parlent davantage de leurs sentiments tout en leur demandant de masquer ceux-ci derrière l'image de l'autonomie et de la force masculine.

Des indications pour l'intervention

S'il existe des différences selon le genre, comment tenir compte de ces différences lorsque nous planifions, implantons et évaluons les programmes de prévention et de prévention et de promotion de la santé ? De la littérature, des entrevues et des expériences, certaines pistes de solutions émergent et méritent d'être mis à l'épreuve surtout au moment où “l'Amérique s'inquiète pour ses petits garçons” (le devoir, 29 mai 98) à la suite d'événements (tueries dans les écoles) ou de révélations statistiques troublantes (les enfants Ritalins, le décrochage scolaire, etc.)

Au moment de la planification, la mixité des intervenants lors de la conception de programmes, permet de réfléchir davantage sur les stéréotypes véhiculés et d'éviter le matériel culpabilisant. Au niveau de l'implantation des activités, certains suggèrent de séparer les garçons et les filles pour certaines problématiques ou, à certains moments et ce, surtout au niveau des programmes offerts au secondaire. D'autres proposent, selon l'intervention, de favoriser l'animation soit par des hommes, soit par un couple mixte, soit par les pairs (garçons). Finalement, tous insistent sur l'importance de sensibiliser les intervenants à la question des différences selon le genre. Pour ce qui est de l'évaluation des programmes, celle-ci devrait inclure une analyse différenciée selon le genre et considérer l'ensemble des stratégies utilisées en prévention et en promotion de la santé. Cette réflexion sur la prévention au masculin interpelle les intervenants mais aussi l'ensemble des secteurs de la société, le milieu familial, le milieu scolaire, etc. La recherche de l'équité ne doit pas se faire au détriment des différences. Les milieux doivent connaître, reconnaître et accepter les différences des garçons et des filles et s'assurer qu'il y a place à valoriser ces différences, mais aussi à les transcender.

Bibliographie