L’adolescent obèse : un casse-tête ou un défi ?

M. Caflish, V. Paris

La prévalence de l’obésité infantile augmente dans tous les pays du monde (tableau 1). Ce fait est liés aux modifications du mode de vie. L’obésité à l’adolescence est un facteur prédictif pour l’obésité à l’âge adulte. Connaître les habitudes alimentaires des jeunes permet de mieux comprendre les adolescents obèses. Derrière un surpoids peuvent se cacher des senti­ments de détresse, ces adolescents souf­frant souvent d’une mauvaise estime de soi.

Nous proposons une prise en charge en ambulatoire, individuelle ou en groupe et nous abordons avec eux les différents aspects de l’adolescence. L’examen clinique répété est essentiel. S’occuper d’adolescents obèses demande de la patience et de la persévéran­ce. La prise en charge idéale n’existe pas, pas plus qu’une méthode unique de traitement.

Que nous apprend la littérature sur l’obésité à l’adolescence?

La prévalence de l’obésité infantile aug­mente dans tous les pays du monde (tableau 1).1 Ce fait est lié aux modifications du mode de vie, de l’environnement familial, à un nouvel équilibre entre les apports alimentaires et les dépenses énergétiques, ainsi qu’aux prédispositions génétiques. On sait aujourd’hui que la probabilité qu’un jeune obèse le reste à l’âge adulte varie entre 20-50% avant la puberté et entre 50-70% après la puberté, ce qui signifie que l’obésité à l’adolescence est un facteur prédictif pour l’obésité à l’âge adulte.(2, 3) La prévalence de l’obésité chez l’adulte est de 15-20% en Europe. Une obésité parentale augmente sensiblement le risque d’obésité chez l’enfant.

C’est durant l’adolescence que 15% de la taille définitive et 50% du poids définitif sont acquis et que l’on observe une modification importante de l’activité physique. Lorsque l’on parle d’obésité, la littérature se base principalement sur l’indice de masse corporelle (body mass index = BMI). La définition de l’obésité infantile diffère en fonction des populations étudiées, par exemple en Amérique du Nord elle correspond à un BMI supérieur au 85e percentil de leurs courbes en fonction de l’âge, et en Europe à un BMI supérieur au 97e percentil de nos courbes en fonction de l’âge.

La revue de la littérature montre qu’il exis­te une grande variété de suggestions et de pro­grammes pour la prise en charge des adolescents obèses, ayant chacun ses avantages et ses désavantages.

Que sait-on des habitudes alimentaires des adolescents ?

Une étude a été effectuée il y a quelques années sur près de 4000 jeunes vaudois de 10 à 19 ans, dont un des objectifs était de mieux comprendre l’évolution des habitudes alimentaires durant l’adolescence.” Les résultats montrent que:

  • Seuls 62% des adolescents prennent trois repas par jour.
  • Neuf jeunes sur dix ont un repas chaud à midi et six jeunes sur dix le soir.
  • Près de 10% ne prennent pas leur petit déjeuner et environ 10% prennent uniquement une boisson le matin (le plus souvent du lait et des jus de fruits).
  • Quatre-vingt à nonante pour cent des ado­lescents consomment des collations, parti­culièrement l’après-midi, et dont le plus souvent du chocolat, des pâtisseries, des biscuits, du pain, des fruits, des yoghourts ou des produits laitiers. L’apport calorique journalier par les snacks est non négligea­ble: 23% pour les filles et 20% pour les garçons.

    Qu’avons-nous appris auprès des adolescents obèses en consultations de médecine pour adolescents ?

    Sur 440 patients suivis dans la consultation pour adolescents à l’Hôpital des enfants de Genève, 47 jeunes (11%) (36 filles et 11 garçons) consultent pour des problèmes d’obésité; leur âge moyen est de 13,5 ans et la diversité culturelle est grande. Une évaluation quantitative montre que parmi ces 47 patients, suivis sur un temps moyen de neuf consulta­tions, 21 (45%) ont réussi à stabiliser ou perdre du poids, 12 (25%) ont pris du poids et 14 (30%) ont interrompu le suivi.

    L’évaluation qualitative révèle qu’une ma­jorité de ces adolescents mangent à midi devant la télévision accompagnés par les stars des séries «la petite maison dans la prairie», «la vie de famille» ou «tous sur orbite». Le goûter se passe également devant la télévision en compagnie de «top models», «beverly hills», «friends» ou «sun­set beach» ! Un grand nombre de ces adoles­cents avouent avoir recours à la prise d’aliments dans toutes sortes de situations difficiles, le plus fréquemment lorsqu’ils sont seuls à la maison et qu’ils s’ennuient.

    Les adolescents obèses ont souvent une mau­vaise estime d’eux mêmes: ils sont insatisfaits de leur aspect physique, ils n’aiment pas la forme de leur corps ou parfois juste certaines parties de celui-ci. Ils attachent à cette apparence l’essentiel de leurs critères de valeurs personnelles. La per­pétuelle insatisfaction découlant de l’échec renouvelé à atteindre la perfection souhaitée entraîne une auto-dévalorisation répétée.9.lo Tout en étant très insatisfaits d’eux-mêmes, ils ont sou­vent beaucoup de peine à parler de ce qu’ils res­sentent. Il leur est plus facile de s’exprimer au sujet des regards que les autres portent sur eux, avec toute la rage et la déception que cela entraî­ne. Lors des consultations il est essentiel de les aider à découvrir ce qui anime leur intérieur, en prenant de la distance par rapport au problème «poids». Il est important de ne jamais oublier que tout adolescent est impliqué dans une phase de transition qui est caractérisée par un désir d’indé­pendance ambivalent, des changements de l’ima­ge corporelle et la découverte d’un corps sexué.

    Surviennent également des changements dans les relations avec les pairs et les parents ainsi que des difficultés pouvant être liées à la scolarité et aux projets d’avenir. Nous avons constaté dans notre consultation qu’il est important d’aborder ces thèmes très concrets pour permettre au patient de comprendre ce qui peut se cacher der­rière son excès de poids (tableau 2).

    Quelle prise en charge proposer?

    Dès la première consultation nous essayons d’établir une relation de confiance en s’in­téressant à l’histoire personnelle du patient. Tout adolescent obèse a un passé unique et un savoir propre autour de ses troubles du comportement alimentaire. Il a souvent déjà consulté divers professionnels de la santé et essayé de multiples régimes. La compréhension de ses représentations, de son histoire et de son organisation journalière va nous aider à proposer une prise en charge individualisée la plus adap­tée possible. Une des grandes difficultés est le manque de motivation pour un suivi régulier à long terme. En effet, ces adolescents ont peu de plaintes somatiques et peu d’inquiétudes pour leur santé, comparés aux autres adolescents qui consultent.” L’adolescent obèse est peu récep­tif aux conseils diététiques et aux suggestions d’activités sportives. Il ne se projette pas dans un avenir lointain et par conséquent se sent peu concerné par les complications tardives asso­ciées à l’obésité. Par contre les désagréments et les frustrations qu’il peut ressentir immédiate­ment restent des portes d’entrée plus accessi­bles (tableau 3).

    Afin de pouvoir sortir du champ restrictif de l’excès de poids, il est important, lors de l’exa­men clinique, de rechercher les signes phy­siques indirects liés à l’obésité, de verbaliser nos constatations et d’en discuter avec l’adolescent (vergetures, intertrigo, sudation excessive). Un examen clinique répété est nécessaire pour aider l’adolescent à réinvestir son corps, à en prendre soin et à l’aimer. Lors du status clinique nous portons également un intérêt particulier aux caractères sexuels secondaires, sachant que les adolescentes obèses ont fréquemment une puberté avancée avec tout ce que cela implique au niveau psycho-social. Nous recherchons tou­jours les signes cliniques évoquant l’hypercorti­cisme, l’hypothyroïdie, l’hyperandrogénie (hir­sutisme) et l’hyperinsulinisme (acanthosis nigri­cans). Lors de la première consultation nous nous posons aussi la question des examens com­plémentaires à effectuer. Pour la prise en char­ge immédiate, le bilan de routine est peu utile: il peut donner le sentiment à l’adolescent que tout est encore normal et pas trop inquiétant. L’examen clinique approfondi nous permet de sélectionner les examens nécessaires à l’exlcusion du syndrome de Cushing, de l’hypothyroï­die, d’un insulinome, et des syndromes de Pra­der-Willy, de Laurence-Moon-Bield et de Stein­Leventhal. Par contre le dépistage des compli­cations liées à l’obésité, telles qu’on les retrouve chez l’adulte obèse (tableau 3) est effectué au cours du suivi médical de ces patients.

    Les conseils diététiques donnés aux adoles­cents doivent prendre en considération leurs préférences alimentaires (tableau 4).12 On ne connaît que trop bien leur aversion pour les légumes et leur souhait de faire comme leurs pairs. Le «fast-food» prend une place importan­te dans l’alimentation des jeunes. Il détermine le choix des restaurants (bon marché et service rapide) et des repas qu’ils préparent à domicile (vite cuisinés et faciles à manger). En consulta­tion nous proposons une réflexion sur «manger bien», «manger mal», «manger trop» et «man­ger sain». Nous essayons de fixer un objectif commun avec l’adolescent, par exemple éviter les boissons sucrées et diminuer le grignotage, sans modifier l’alimentation trop rapidement. N’oublions pas que l’adolescent obèse est enco­re fortement ancré dans son milieu familial, qui peut être un obstacle aux changements. C’est l’adolescent lui-même qui nous montrera le rythme à prendre et qui reste le prescripteur de son propre plan alimentaire.13 Notre premier objectif est donc une stabilisation à l’aide de moyens simples. La perte pondérale est envisa­gée dans un second temps. La prise en charge nécessite une perspective à long terme, le suivi est individualisé et la fréquence des consulta­tions est fixée avec l’adolescent (de bihebdomadaire à trimestrielle).

    En pratique, nous proposons différentes approches individuelles ou en groupe. Nous effectuons un examen clinique régulier et pro­posons des examens complémentaires en fonc­tion de celui-ci. Notre prise en charge fait partie d’un réseau interdisciplinaire plus vaste incluant les consultations d’endocrinologie, le Service Santé jeunesse, les pédiatres, les méde­cins généralistes et les diététiciennes.

    Quelles conclusions ?

    L’obésité se trouve au carrefour entre «symptôme», «maladie chronique» et «pro­blème psycho-social». S’occuper d’adolescents obèses demande de la patience et de la persévérance, ils nous interpellent par leurs soucis de poids mais également par leur vécu d’adolescents. Nous comprenons l’obésité comme une sorte de forteresse protectrice der­rière laquelle l’adolescent s’abrite des senti­ments dépressifs et d’ennuis. La prise en charge idéale n’existe pas, mais le plaisir que nous avons à travailler avec ces adolescents nous encourage à chercher de nouvelles ap­proches.

    Bibliographie

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    Reproduit de: Médecine&Hygi;ène 2327-8, 20 décembre 2000, 2566-2568.