Adolescence et jeux de hasard, un mélange explosif

Les jeux de hasard et d’argent sont devenus une véritable mine d’or pour les gouvernements. Les seuls revenus de Loto-Québec atteignaient pratiquement trois milliards de dollars en 1998. Davan­tage de jeux signifie davantage de joueurs, mais aussi davantage de dépendance au jeu. C’est là une partie du prix à payer: le nombre de joueurs pathologiques est en augmentation croissante. En 1997, au Québec, le Secrétariat à l’action communautaire autonome (SACA) évaluait à 270 000 le nombre de joueurs dits pathologiques, c’est-à-dire sujets à une perte de maîtrise, continue ou périodique, face au jeu.

Les jeunes n’échappent pas au phénomène. Toujours d’après le SACA, environ 90 000 adolescents de 8 à 19 ans seraient victimes du jeu pathologique et compulsif. Des chercheurs de l’Université Laval et de l’Université de Montréal confir­ment maintenant que drogue, alcool, délinquance et faibles résultats acadé­miques sont associés à la dépendance au jeu chez les adolescents.

Les jeunes joueurs pathologiques consomment davantage de cigarettes, d’alcool et de drogues. Ils éprouvent également des problèmes en classe. Il leur arrive plus souvent d’être expulsés par leurs professeurs, et leurs résultats académiques sont plus faibles. Le quart d’entre eux ont déjà tenté de se suicider, encore qu’il soit difficile d’établir un lien entre ces idées suicidaires et le fardeau que représentent les pertes au jeu. Et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce sont les plus jeunes adoles­cents (13 ans) qui jouent le plus, comme s’ils voulaient imiter les adultes en faisant preuve d’audace. À 16 ou 17 ans, le jeu perd déjà de son attrait au profit d’autres activités.

C’est une recherche menée à l’hiver 96 auprès de 3 426 étudiants âgés de 12 à 18 ans, fréquentant des écoles secondaires des régions de Québec et de Charlevoix, qui a permis d’en arriver à ces conclusions. Le groupe étudié était composé à parts égales de garçons et de filles. Les résultats montrent que le jeu fait désormais partie de leur vie.

Près de 9 adolescents sur 10 (87%) ont déjà participé à un jeu de hasard, et 77% ont joué durant les 12 derniers mois. C’est la loterie qui est la forme de jeu la plus popu­laire, suivie du bingo, du vidéo-poker, des paris sportifs et autres gageures. La proportion de ceux qui s’y adon­nent au moins une fois par semaine demeure significative, à 13%. C’est à ce niveau que l’on commence à voir une différence notable entre les sexes, puisque deux fois plus de garçons que de filles (19 % contre 8 %) sont touchés. Ils seront encore deux fois plus nombreux à se reconnaître « joueurs pathologiques », catégorie qui regroupe finalement 2,6 % des adolescents interrogés.

Plus de la moitié d’entre eux (59 %) vivent des problèmes académiques ou familiaux liés à leurs habitudes de jeu, tandis que 45 % ont fait l’objet de critiques de leurs amis ou de leurs proches. La moitié se sont disputés à ce sujet et 16% ont manqué l’école. Près du tiers (31 %) ont dû emprunter pour jouer sans être en mesure de rembourser leurs dettes. Plusieurs vont voler pour financer leurs activités. Par ailleurs, 73 % des jeunes joueurs pathologiques disent avoir au moins un parent qui joue...

Le jeu est de moins en moins une chasse gardée masculine. Des études antérieures faisaient état d’une pro­portion de quatre garçons joueurs pour une fille joueuse. Cette recherche révèle un ratio de 2,5 pour 1. Plus accessible que jamais, le jeu ne fait plus de discrimination entre les sexes.

Dans une étude précédente, les auteurs avaient déjà remarqué que les adolescents impulsifs étaient plus sujets que d’autres à développer une dépendance face au jeu. Les adoles­cents dits « impulsifs », ici, sont ceux qui sont incapables de contrôler leur comportement et qui posent des gestes indépendamment des consé­quences. Il existe donc une forte possibilité que le jeu pathologique et la consommation de drogue évoluent simultanément et que l’impulsivité soit à l’origine de ces troubles. Les chercheurs posent la question: ne serait-il pas utile de cibler les enfants au caractère impulsif pour agir en amont et prévenir l’apparition de tous ces problèmes?

Pour en savoir plus:
Prévention et traitement du jeu pathologique Robert Ladouceur et Jean-Marie Boisvert École de psychologie, Université Laval novembre 1997.
Voir également Pathological Gambling and Related Problems Among Adolescents, in Journal of Child and Adolescent Substance Abuse (sous presse).

Saviez-vous que...

«Le mot lot est d’origine teutonne la racine hleut désignait en effet le caillou utilisé pour trancher les disputes et fixer les limites des propriétés. L’italien loteria et le français loterie [...] sont de même origine. Mais en anglais comme en allemand, lot a pris avec le temps une signification plus large et désigne à la fois un billet de loterie et la destinée humaine.»

Reuven Brenner et Gabrielle Brenner, in Spéculation et jeux de hasard, PUF, Paris, 1993.

Le jeu pathologique et compulsif : quelques faits saillants parmi d’autres

  • Deux joueurs (pathologiques et compulsifs) sur trois com­mettent des actes illicites ou criminels en raison du jeu 30% des détenus seraient victimes du jeu pathologique.
  • Les joueurs pathologiques sont aussi des candidats au suicide, aux troubles mentaux et aux maladies liées au stress.
  • Les coûts socioéconomiques du jeu pathologique atteignent 4,8 milliards de dollars par année (services de santé et ser­vices sociaux, sécurité publique, administration de la justice, im­pôts impayés, aide sociale pour cause de perte d’emploi, etc.).

    (Source: Secrétariat à l’action communautaire autonome (SACA), octobre 1997)
    (Les revenus de Loto-Québec se sont chiffrés à 2,837 milliards de dollars en 1998.)