Beaucoup d'entre vous me connaissent. Directrice de l'École des parents et des éducateurs (EPE) d'Île de France, psychologue clinicienne au CMP de Ménilmontant, mais aussi femme, mariée, mère de trois enfants et j'ajouterai fille d'une mère. À ces différents titres, de psychologue, directrice, mère, femme, je suis confrontée quotidiennement aux questions que pose l'exercice de l'autorité, que je sois supposée l'exercer sur ou pour d'autres, la partager ou m'y plier. C'est vous dire le commun de nos interrogations.
Je vous propose donc d'engager ensemble une réflexion, des débats, car personne aujourd'hui, me semble t’il, ne peut prétendre connaître la ou les bonnes réponses sur ce qu'est ou devrait être l'autorité. Tous, parents et professionnels de l'éducation, nous cherchons, oscillant entre un autoritarisme que nous rejetons par ailleurs et qui nous parait une régression, et un laisser faire, un « libre à toi », parfois producteur d'autonomie, de responsabilisation, et parfois de comportements inadaptés ou inquiétants selon nos propres jugements.
À l'École des parents et des éducateurs, à travers tous nos services (consultations par téléphone et sur place, groupes de paroles, Maison Ouverte, formation continue, conférences) apparaissent, de façon directe ou indirecte, les questions sur l'autorité. Les adultes, qu'il s'agisse de parents ou/et de professionnels, sont confrontés à des comportements qui les dépassent, les inquiètent, les déstabilisent, les effraient. Ils sont perplexes, désemparés, débordés et cherchent des interlocuteurs avec lesquels partager leurs questions et trouver comment faire. Il s'agit de comprendre, repenser leurs réactions, leurs choix, parfois de réorganiser leur vie ou des morceaux de leur vie.
Que dire, que faire?
« Avec mon fils de 2 ans qui m'insulte et me menace ».
« Avec mon enfant de 2 ans qui, s'il ne partage pas mon lit, pleure toute la nuit ».
« J'ai découvert qu'elle fumait ».
« J'ai l'impression qu'il se drogue » .
« Son bac est dans une semaine, il ne fait rien, il se sabote ».
« Elle a 18 ans et ne nous permet plus d'entrer dans le salon lorsqu'elle y est avec ses amies ».
« J'ai peur, il est violent, il exige de l'argent et me bat si je n'en donne pas. Il m'a dit qu'un jour il me tuerait ».
Que dire, que faire?
Que dire, que faire ? Et pour nous, à l'EPE, comment réagir lorsque de plus en plus nous sommes témoins de parents qui renoncent : « Trouvez lui un internat » , « Je n'en peux plus ce n'est plus mon fils » ? Ou qu'à Fil Santé Jeunes nous entendons les jeunes chercher des interlocuteurs adultes - c'est-à-dire des personnes assumant leur différence d'âge, d'expérience, de compétence - pour dire leurs questions, exprimer leurs inquiétudes ou leur mal-être ; pour mieux « se » comprendre, pour réfléchir leurs choix, avancer, trouver l'information ou la protection dont ils ont besoin.
Qu’est-ce que l'autorité ? Lors de notre dernier Colloque en mai 1998, nous avons entendu des parents refuser - dans un atelier - d'employer ce mot « autorité ». I1 apparaissait comme un concept à rejeter, entaché de négatif, incarnant un ordre révolu et en aucun temps il ne fallait l'évoquer lorsqu'il s'agissait de réfléchir à la construction d'un adulte.
Le Petit Robert définit et décline le mot « autorité » de la façon suivante : Provenant d'autoritas - auctor « auteur » : «garant » et page précédente « autoriser », l'autorité c'est :
Quand au mot Avatars - sanscrit - avâtara « descente »
À joindre ces deux termes, on voit bien comment l'autorité qui s'inscrit toujours dans la relation à l'autre aux autres peut représenter aussi bien l'exercice d'un pouvoir sans contestation, sans contradiction possible (absolu, arbitraire), qu'être liée à un statut, à la capacité de séduire ou encore reposer sur le respect, la confiance, la reconnaissance d'une compétence. L'autorité dans ses diverses formes, ses métamorphoses, peut être imposée par le haut « de droit divin » et s'exercer par la contrainte, ou s'imposer par la base, par ceux qui tels les jeunes enfants en ont besoin pour être protégés, vivre et grandir. L'autorité est alors influence acceptée, elle est « garant ».
Où qu'elle se situe, l'autorité pour s'exercer ou se maintenir doit apporter un plus, un mieux, à ceux qui la subissent ou la reconnaissent, la choisissent. « Plus » de puissance, efficacité, réassurance, bien-être, compétence, autonomie... l'autorité autorise, elle rend « auteur », c'est là le terme de l'échange (du contrat parfois) qui s'étaye sur la confiance, la certitude d'un gain en retour. Ce « plus » peut être illusion de puissance mais destruction lorsqu'un gourou, un dictateur manipule des adultes et les transforme en non-être, en robots exécutants. Ce « plus » peut être source de développement, de progrès, de plus d'être personnel et collectif.
L'autorité, en soi, n’est pas morale. Mais pour nous, ici, aujourd'hui, l'autorité que nous questionnons, celle dont nous sommes à la recherche est l'autorité qui contribue à construire, à soutenir le devenir de nos enfants vers des adultes autonomes, responsables, heureux. Elle ne se justifie que par cet objectif.
Sauf à penser que l'autorité n'est pas nécessaire, que ce n'est pas un passage obligé pour atteindre de tels objectifs, qu'il est possible d'éduquer sans, à aucun moment, faire acte d'autorité.
De quoi s'agit-il alors ? Pourquoi ce choix ? Choix idéologique ou psychologique pour ne pas reproduire ce que l'on a subi enfant et dont on a souffert, ou pour éviter d'incarner des contre modèles qui nous entourent et que nous faisons plus que désapprouver ? Peut-être s'agit-il de différencier autoritarisme et autorité. Choix lié à la représentation que l'on a du « bon parent » qui écoute toujours, explique toujours, et veille à respecter tous les désirs de l'enfant -enfant personne - enfant roi qui ainsi deviendra le mieux de lui-même - confusion entre approche psychologique et éducative. Choix plus subi que voulu d'un laisser-faire lorsqu'on est parent fatigué, préoccupé, surchargé, débordé et que l'on aspire au calme, à la détente ou à l'harmonie familiale. Éviter les conflits, ne pas exiger, ne pas refuser ou interdire sont des sortes de symptômes de nos modes de vie trop souvent stressés et insatisfaisants, des symptômes du découragement ou des moments dépressifs qui nous atteignent parfois.
« Choix » enfin pour ceux qui ayant compris qu'il est absolument interdit de gifler, fesser ou battre un enfant - eux qui ont été éduqués ainsi - ne savent plus comment imposer les exigences, les règles nécessaires. Recourir (maîtriser parfois par) au regard, à la voix, la séduction, le détournement d'attention, le chantage, la menace ; il n'est pas certain que cela s'apprenne en une génération et parfois les mots, les violences verbales, produisent des blessures, des souffrances plus graves et plus irréparables qu'une fessée, faiblesse momentanée d'un adulte.
La promotion des Droits de l'Enfant est un incontestable progrès, mais - comme tout progrès - dans son application à la lettre, elle peut produire des effets secondaires dommageables pour l'enfant qu'elle entend protéger.
De même, certains excès d'encouragement à l'autonomie (trop précoce, trop absolue) recouvrent parfois un apprentissage de la solitude. Le « débrouille-toi tout seul » ou « fais comme to veux » peut s'entendre comme un abandon, comme une punition.
À partir des évolutions que nous avons observées ou que nous observons à PEPE, je vous propose quatre pistes de réflexion qui se situent à des niveaux différents mais très probablement interfèrent entre elles
De l'autoritarisme à la recherche de l'autorité perdueEn 1929, l'École des Parents a été créée suite à une décision du ministère de l'Instruction qui voulait que l'éducation sexuelle des jeunes filles soit assurée en son sein. Des parents, considérant que cette éducation relevait de leur responsabilité, se sont alors regroupés pour créer l'École des Parents (et des Éducateurs dans les années 50).
Elle avait et a toujours pour mission d'aider les parents à être parents et de former les professionnels de l'éducation, de leur apporter les informations, les connaissances, les soutiens dont ils peuvent avoir besoin aux différents moments de l'éducation des enfants et dans la gestion des relations familiales ou institutionnelles. L'EPE propose ses services aux parents quelles que soient leurs difficultés. Sa spécialité est d'être généraliste, de promouvoir les approches pluridisciplinaires.
Le débat concernant la répartition des responsabilités éducatives entre parents et institutions était déjà d'actualité il y a 70 ans. En revanche, la question de l'autorité, de l'exercice de l'autorité, se posait dans des termes différents. En 1948, les premiers numéros de « l'École des parents » témoignent d'un fonctionnement familial et institutionnel complètement vertical. L'École des Parents organise alors de grandes conférences données par des professeurs (médecins, pédagogues) au savoir incontesté ; ces conférences sont suivies de débats où l'on voit bien comment le professeur s'adresse au père de famille, celui-ci est relayé par la mère, soumise - au foyer - et en dessous apparaît l'enfant qui doit être silencieux et obéissant.
Les conseils de l'École des Parents se bornent à rappeler aux pères l'existence de leurs femmes -ils encouragent les compliments - et à dire que les paroles pour les enfants sont préférables au martinet ou à sa menace.
40 ans après, en 1988, la lecture de la revue témoigne d'un fonctionnement complètement horizontal. Il n'y a plus de savoir ou de sachant incontesté, père et mère sont confondus et l'enfant, non seulement s'exprime au même titre que les adultes mais, souvent, remet de l'ordre dans leur chaos. Il répare, conclut, se situe, en somme, au-dessus. Cela correspond à des observations en nombre croissant que nous faisons depuis lors : parentalisation des enfants, inversion ponctuelle des relations parent-enfant.
On ne sait plus où est l'autorité, s'il y en a, et qui l'incarne. Tout le monde est quelqu'un, chacun est en droit de s'exprimer, d'être écouté et pris en compte dans les décisions, les actes. Le gain démocratique est évident mais produit la confusion, les pertes de repères que nous connaissons aujourd'hui. Nous y sommes très attachés, c'est une sorte de victoire d'égalité et de respect pour tous, mais dès que le couple se constitue, il y a débat ; chacun doit trouver sa place et plus encore lorsque l'enfant arrive.
L'enfant qui grandit fait progressivement entendre ses différences et met ses parents à l'épreuve. Les conflits d'éducation apparaissent alors entre le père et la mère, ils interrogent leur identité, leur rôle, leur fonction parentale. Ce n'est que par la parole qu'ils peuvent arriver à la constatation qu'aujourd'hui père et mère sont égaux devant la loi et ne sont différents que par leur identité sexuelle, leur histoire, leur désir, beaucoup plus que par leur rôle et leur fonction parentale qui sont en voie d'indifférenciation. Celle-ci est l'aboutissement normal du mouvement d'émancipation des femmes, de leur accès au travail, et s'est installée sans que nous y pensions. Dans le couple égalitaire, il n'y a pas de chef de famille (ce modèle est beaucoup plus fragile en cas de crise), il y a indifférenciation des fonctions parentales qui peuvent être aussi bien remplies par l'un que par l'autre. La confusion et l'incohérence menacent à chaque occasion, d'autant que cette révolution anthropologique est peu symbolisée et que, dans les têtes, le modèle précédent rode encore.
On peut entendre les plus féministes des femmes en appeler à l'autorité du père devant les adolescents en recherche de limites. Que diraient-elles si leur mari, par souci de cohérence, faisait appel à l'autorité qu'il aurait pu avoir sur elles. C'était l'autorité exercée sur la femme qui légitimait l'autorité du père sur les enfants. Bien des hommes, des couples, sont fragilisés par cette double attente exprimée à l'égard des pères qui doivent simultanément rester à égalité de la mère et avoir autorité sur elle (se situer au-dessus d'elle) pour avoir autorité sur les enfants - à l'image du père de la génération précédente -.
Débats, souplesse, ajustements, négociations, innovations sont nécessaires au couple (père et mère) pour trouver des positionnements réels et symboliques, des modalités de vie en commun à la fois satisfaisants pour chacun d'eux et pour leurs enfants.
L'autre évolution dont l'École des Parents a été le témoin au cours des années est celle des relations entre parents et professionnels de l'éducation. La plupart des institutions destinées aux enfants, qu'il s'agisse d'instruction, de garde ou de soins, ont été conçues hors des parents et plus ou moins contre eux. Il s'agissait de pallier leurs incapacités, leur ignorance, leur éventuelle nocivité. Les savoirs pédagogiques, psychologiques, médicaux, se sont développés au cours de ce siècle et les professionnels spécialistes se sont multipliés. Les parents ont été mis à la porte de l'éducation de leurs enfants, accusés essentiellement des ratés, de ce qui n'allait pas, tandis que les professionnels étaient tentés par la toute puissance. Ils savaient, pouvaient réussir (au sein même de l'École des Parents, les professionnels ont pris le pouvoir) et reprochaient aux parents leur démission sans être conscients qu'ils l'avaient produite.
Puis dans les années 1990-1993 nous avons été témoins de deux mouvements simultanés face aux difficultés des jeunes : la perte de confiance des professionnels en eux-mêmes, atteints à leur tour par le doute, l'épuisement et l'émergence des parents et/ou le recours à leurs responsabilités. MJC, Municipalités, responsables politiques et institutionnels, associations, parents eux-mêmes nous ont demandé de contribuer à la « reparentalisation » des parents.
Parce qu'ils sont responsables de l'entièreté de leur enfant, de son identité, de son histoire, de tous les moments de sa vie, les parents sont (sauf exception lorsqu'ils ne peuvent plus, lorsque la tâche est vraiment trop lourde) les premiers éducateurs de leurs enfants. Mais il n'est plus possible d'assumer seul ces fonctions. C'est par une intervention technique ou celle d'un spécialiste que les adultes apprennent un jour qu'ils sont parents. Dès lors les responsabilités concernant l'enfant seront partagées entre parents et professionnels.
Par ailleurs, lorsque le père et la mère sont absents 8 à 12 heures par jour, il faut bien que des professionnels de la fonction parentale suppléent à cette absence. De l'assistante maternelle au juge pour enfants, de l'éducateur à l'instituteur ou à l'infirmière scolaire, ce sont d'abord des morceaux maternels et paternels qu'ils représentent. C'est sur ces morceaux de parents professionnels que beaucoup d'enfants vont s'appuyer pour se construire.
Alors à l'indifférenciation parentale, viennent s'ajouter les indifférenciations, les confusions, les ruptures nées de cette cohorte de suppléants si précieux. Si elles ne sont pas éclairées par la parole et la rencontre de ces différents parents, privés et professionnels, l'enfant est pris dans un étau : dans un discours, des attentes, des comportements contradictoires et exclusifs les uns des autres.
L'autorité ne peut se retrouver aujourd'hui que par la cohérence, par la démocratie, la parole vraie (et rationnelle), par la cohérence en particulier entre les intentions, les paroles et les actes. Pour restaurer une autorité fléchissante ou incertaine, il s'agit de penser et de prendre en compte la complexité.
Aujourd'hui, les enfants sont rares et précieux, éduquer est devenu une tâche extrêmement complexe ; parents et professionnels ont besoin les uns des autres mais cela suppose de sortir de la défiance, de la disqualification réciproque; cela suppose un travail important et difficile de remise en question des pratiques et d'interrogation systématique sur leurs effets. Malgré la sensibilisation croissante des institutions à la nécessité d'améliorer leurs relations avec les familles, leurs réponses n'évoluent que lentement, elles restent souvent trop complexes, incompréhensibles, inadaptées. La disqualification, la participation plus formelle que réelle continuent à dominer. Les malentendus sont nombreux.
Il semble que les institutions méconnaissent ce qu'elles incarnent par définition de puissance, d'autorité, de légitimité écrasante face à l'individu parent qu'elles convoquent ou invitent au sujet de leur enfant. C'est pourquoi nous encourageons les rencontres collectives dans lesquelles il est plus facile de s'exprimer.
Mais l'autre risque auquel nous assistons aujourd'hui, dans l'émergence de ce nouvel équilibre (potentiellement fructueux) entre parents et professionnels, c'est celui de l'instrumentalisation des uns par les autres.
De même qu'on voit des parents exiger de l'enseignant que leur enfant obtienne le diplôme qu'il convoite ou qu'il apprenne enfin un minimum de civilité, de même on voit des enseignants exiger des parents qu'ils consacrent le temps familial aux apprentissages scolaires, qu'ils deviennent relais pédagogiques. S'il peut s'agir ici dune lutte d'influence ou de délégations excessives, cela peut aussi signifier des excès d'attente de part et d'autre.
Les idéalisations sont nombreuses et peuvent, paradoxalement, affaiblir l'autoritéElles sont porteuses d'une incitation à mieux faire, mais elles produisent aussi de lourdes charges : la culpabilité, la honte, la déception, le désinvestissement qui fait suite au surinvestissement.
Les enfants sont idéalisés. Ils donnent sens à nos vies marquées par l'incertitude, la précarité professionnelle et affective, en particulier conjugale. Ils sanctionnent par leurs réussites ou leurs échecs nos compétences de parents et d'adultes. À écouter Inter-Service-Parents il y a quelques années, il semblait que, pour beaucoup, la conviction était : « Un bon parent produit un enfant diplômé ». Mais aujourd'hui, la sanction s'inverse et aboutit à « Un enfant diplômé produit un bon parent ».
Autant il est normal et nécessaire d'assumer nos responsabilités à l'égard des enfants, autant parfois ils paraissent prendre trop de place dans nos vies. Ils comblent nos manques ou nos peurs d'adultes vieillissants et de couples fragilisés, alors que notre tâche est de les aider à s'envoler pour créer au mieux leur propre vie.
La fonction de parent est idéalisée. Nous voudrions être bon parent en tout et partout et pas seulement un parent suffisamment bon qui s'autorise d'autres intérêts et admet ses faiblesses humaines. La famille est idéalisée : elle est rêvée lieu refuge, lieu de restauration et d'harmonie pour tous. Elle se fragilise lorsqu'elle se ferme aux autres, à l'extérieur, considérés comme potentiellement dangereux ou concurrents.
Enfin les professionnels : enseignants, travailleurs sociaux, médecins, idéalisent parfois leur fonction et sont idéalisés, ce qui produit malentendus et déceptions.Seules les rencontres, les explications où se disent les ambivalences, les souhaits et les difficultés de chacun à chacun peuvent faire évoluer vers des relations plus humaines et réalistes. Enfin - même si ce n'est pas notre spécialité -dans les questions portant sur l'autorité, il n’est pas possible d’ignorer le contexte économique et politique dans lequel nous vivons.
À l'image des familles (ou l'inverse) les entreprises ont évolué dans leur fonctionnement et dans la place accordée à l'autorité. Les entreprises se sont démocratisées, elles responsabilisent davantage ceux qui y travaillent. L'autorité y est présente mais de façon plus subtile, moins explicite, et parfois d'autant plus violente. Elle s'est démocratisée parce que c'est là un moyen d'augmenter la productivité de chacun, ce qui n'exclut pas des motivations humanistes. Les entreprises sont passées d'un système pyramidal où le directeur général était roi, à un système de pyramide inversée ou le client est roi et définit ce qui sera produit. À l'image de l'enfant qui est surtout roi en tant que prescripteur d'achats (publicités).
Pour que notre système économique fonctionne, il faut que le client consomme. Il est donc encouragé au chacun pour soi, à une auto, une TV, un téléphone par personne. Il est encouragé à moins de partage, à plus d'individualisme et de solitude.
Les entreprises sont passées d'un fonctionnement « familial » classique et « bureaucratique » - où il y avait des règles acceptées par tous, des solidarités humaines, des garanties de pérennité et d'évolution de carrière - à un système sauvage où l'efficacité fait loi sans la moindre prise en considération de l'humain, où c'est le « donnant/donnant » qui domine. C'est une caricature et de larges secteurs échappent encore aujourd'hui à cette violence mais chacun sait qu'elle existe et que, peut-être, elle sera l'avenir de nos enfants.
Nous découvrons actuellement les conséquences potentiellement dramatiques (en terme humain) d'une société sans autre objet que l'argent pour l'argent, sans un minimum de régulation protégeant l'humain, sans autorité politique suffisamment forte pour questionner au moins ce modèle.
En rappelant la loi, en partageant les réflexions sur la mission des parents, mission partagée avec les professionnels de l'éducation. En travaillant sur les devoirs mais aussi souvent sur les malentendus interculturels.
La loi dit que : « l'autorité appartient aux pères et mères pour protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé, sa moralité. Ils ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d'éducation » (article 371 -2 code civil).
Les parents, les éducateurs font appel à nous pour trouver comment exercer cette autorité de façon adaptée. Que leur proposer ?
Comme nous l'a montré l'enquête du CREDOC (Fiche n° 130 - octobre 1998 « Le partenariat entre les parents et les professionnels reste à définir »), les difficultés déclarées entre les enfants et les parents ne concernent qu'une minorité de familles. Dans la majorité d'entre elles, le dialogue et la discussion prédominent et l'on ne relève qu'un cas sur 6 où cela se passe mal. Cette assertion des parents est d'ailleurs confirmée par les enfants. En outre, les parents déclarent qu'ils ont un projet éducatif : ils sont impliqués dans ce projet et désirent que leurs enfants puissent devenir autonomes et responsables. Ils tiennent à leur transmettre un certain nombre de valeurs. Ils témoignent de leurs contacts avec les intervenants qui partagent avec eux le temps de l'enfant. Ainsi, dans de nombreuses familles, les problèmes d'autorité sont ponctuels, liés aux phases de développement de l'enfant (deux ans et demi, adolescence) ou aux entraînements par leurs pairs, les groupes auxquels ils appartiennent.
Mais pour certaines familles l'autorité devient un problème quotidien, envahissant. Absorbées par leur lutte quotidienne pour survivre, ou atteintes par leur disqualification (chômage, problèmes multiples, dépression) elles lâchent progressivement l'enfant ou le confient totalement aux institutions qui l'accueillent, aux habitants du quartier (elles ne savent pas où il est), et se retrouvent progressivement démunies, sans autorité, dans l'espace même du logement, de la famille. Lorsque l'autorité ne sait plus se dire, lorsque les obstacles à l'éducation des enfants ou au bien vivre ensemble deviennent insurmontables, les recettes n'existent pas mais des voies peuvent être indiquées :
Quelles sont les conditions de ces évolutions?
Ce sont ces choix que nous avons observés ou auxquels nous avons contribué chez ceux qui ont su recréer, là ou régnaient le découragement et la peur, des espaces de vie vivables, agréables.
Ces actions collectives ont redéfini des règles, des limites acceptées et assumées, agies par tous. Elles ont permis de recréer des liens, la convivialité, la confiance en soi et dans les autres. Elles ont permis à chacun de retrouver sa compétence et pour certains adultes de se remettre debout. Ce que nous observons dans les groupes de paroles pour les parents est du même ordre. À partager leurs difficultés - dans un cadre défini - ils retrouvent confiance dans leurs compétences d'adultes responsables d'enfants et nouent parfois des liens d'amitié précieux.
Nous sommes tous concernés, quotidiennement, par cette nouvelle forme d'autorité à trouver - ni répressive, ni laxiste - mais elle ne se décrète pas, elle s'invente ensemble.
Je suis juge des enfants depuis 19 ans et j'exerce en banlieue où la question de l'autorité se pose au quotidien de manière récurrente. En tant que juriste, je vous parlerai de l'autorité du point de vue du droit et des institutions. Le titre de la conférence m'a d'abord fait penser aux déboires de l'autorité, mais lorsque j'ai cherché les définitions dans le Robert, j'y ai trouvé qu'avatars signifiait changement, métamorphose et transformation et ça m'a paru encore plus intéressant, plus subtil.
L'autorité, ce n'est pas seulement le pouvoir. Le pouvoir s'impose, il peut être tyrannique ou pas, il est brut : c'est la puissance. L'autorité, c'est le pouvoir reconnu comme légitime, c'est celui sur lequel il s'exerce qui donne autorité, qui confère la légitimité ; celle-ci suppose la reconnaissance de celui qui y est soumis.
Mon propos consistera à essayer de repérer ce qui a changé dans la manière d'exercer l'autorité et à rechercher sur quelle légitimité elle se fonde aujourd'hui.
Les figures de l'autorité ont changé dans tous les domaines, que ce soit dans celui de l'organisation politique et sociale ou dans le champ privé, notamment la famille. Dans la société, l'autorité sur les enfants est conférée aux parents, mais l'État a un pouvoir de contrôle sur la manière dont est exercée cette autorité. II intervient à titre direct à l'égard des enfants à travers ses institutions, ses appareils (l'école, la justice, etc.).
Tout ce qui concerne l'enfant est une matière en droit dite « d'ordre public ». Le procureur de la République, représentant de l'intérêt général, a vocation à intervenir le cas échéant : l'assistance éducative, c'est-à-dire l'intervention du juge des enfants par rapport aux conditions d'éducation de ceux-ci, est une matière d'ordre public, une matière qui concerne l'organisation même de la société.
Dans cette question de l'éducation, l'intervention de l'État n'est pas arbitraire. Elle est régie par le droit, les institutions procèdent de la loi. Leur légitimité à agir résulte de la conformité de leurs actes au cadre légal et de la reconnaissance de ce cadre légal.
Que se passe-t-il lorsque la légitimité est en défaut, lorsqu'il y a conflit entre deux systèmes légaux ou entre loi et culture ? Que se passe-t-il lorsque l'autorité est déconnectée du droit, lorsqu'elle est abusive ? Que se passe-t-il quand la loi n’est plus perçue comme légitime ? Le problème de crédibilité que rencontrent aujourd'hui les figures de l'autorité me semble procéder d'un déficit de légitimité provenant de ces hiatus.
Les figures de l'autorité ont changé. Il me semble que les transformations dans les représentations de l'autorité, tant sur le plan des institutions publiques que sur celui de la famille (le passage de la puissance paternelle à l'autorité parentale), sont apparues dans les années soixante-dix et qu'il y a là un parallélisme, une similitude que l'on ne peut pas ne pas questionner.Il me semble que l'on est passé d'une autorité de puissance, publique ou privée, à une autorité débitrice ayant à remplir une fonction et à rendre des comptes sur la manière dont elle remplit cette fonction. C'est ce renversement qui nous a fait perdre nos repères.
Il faut se rappeler que l'on est passé du XIXe siècle et d'un État libéral où les fonctions de la puissance publique étaient la police et la sûreté, au XXè siècle et à un État - que l'on a appelé providence -développant les services publics, et qui avait pour vocation d'assurer la prospérité à ses ressortissants. De ce point de vue l'État providence a failli : il a envoyé en 14-18 ses fils à la boucherie, il a perdu son honneur en 40 et s'est fourvoyé dans des guerres coloniales peu glorieuses.
Si l'on reprend la figure suprême de l'autorité étatique qu'est le chef de l'État, le Président de la République, on s'aperçoit que sous la Troisième et la Quatrième République, il n'est rien, un homme sans pouvoir, il n'incarne rien. La figure de l'État est abstraite. C'est la Cinquième République qui, en 1958 par la Constitution, et en 1962 avec l'instauration de l'élection du Président au suffrage universel, institue le chef de l'État comme incarnation de l'État (l'élection directe donne sa légitimité au chef de l'État). En 1962 cette figure suprême de l'autorité est incarnée par le Général de Gaulle qui est l'homme providentiel, celui qui a relevé la nation française de la honte en appelant à la résistance en juin 1940, et celui qui est intervenu en 1958 pour tirer le pays du mauvais pas dans lequel il s'était enlisé et éviter la guerre civile. Le peuple français ne peut être que redevable par rapport à une telle figure. Cet homme, ce représentant de l'État, a une créance à l'égard du peuple français, et l'exercice du pouvoir sous la Cinquième République va fonctionner sur le type d'une autorité qui vient d'en haut, d'un homme créancier et d'un peuple redevable. En 1968, on tue le père, De Gaulle n'y survivra pas, mais il a un héritier qui est Georges Pompidou.
1974 est le vrai tournant dans la représentation de l'autorité suprême du chef de l'État. L'homme élu cette année-là au suffrage universel n'est pas porteur du même héritage et il est élu sur les promesses faites aux électeurs. Sa légitimité tiendra à sa capacité à tenir ses promesses. L'autorité du chef de l'État repose sur une dette, sur un devoir à remplir, plus que sur un pouvoir à exercer. Il en sera ainsi de tous les chefs d'État successifs.
Valery Giseard d'Estaing est élu en 1974, en même temps que débutent la crise économique et les restructurations qui laisseront sur le carreau un grand nombre de gens. D'où l'accumulation, pour les laissés pour compte et les exclus, d'un sentiment de frustration et de rancoeur en raison des promesses non tenues, des désillusions, et d'un sentiment d'insécurité qui gagne y compris ceux qui ne sont pas victimes de ces restructurations qui ont généré un traumatisme dans tout le pays.
Aujourd'hui, dans la révolte des jeunes à l'égard de tout ce qui porte uniforme ou qui s'appelle institution - que ce soit les dégradations de lieux publics ou les guérillas menées à l'égard des forces de police, des pompiers... - il y a le sentiment, de la part de ces jeunes, que l'État n'a pas rempli son devoir à leur égard, mais aussi à l'égard de leurs pères qui eux n'ont pas bougé, ne se sont pas révoltés. L'État n'est plus perçu en soi et a priori comme légitime. Sa légitimité est mesurée à l'aune de ce qu'il est capable de donner.
Cette question de la légitimité des figures de l'autorité et de l'autorité étatique s'est élargie, avec la décentralisation, à toutes les collectivités publiques. Les élus, les maires, les conseillers généraux, etc., sont aussi redevables, par rapport à leurs électeurs, d'un certain nombre de promesses faites en tant que candidats. Ils sont, d'une certaine manière, tenus par l'opinion publique. Leur crédibilité et leur légitimité tiennent à leurs capacités à remplir ces promesses. Parallèlement et à la même époque que cette modification de la représentation des autorités publiques, se produit une révolution dans le champ de la famille : la loi sur l'autorité parentale. Nous avons tous gardé la trace de la puissance paternelle, voire sa nostalgie. Quel juge des enfants n'a pas entendu dire qu'il fallait « le mettre en maison de correction» .
La puissance paternelle était un droit de quasi-propriété sur les enfants : droit de vie et de mort du pater familias romain, droit de renier ou de déshériter ses enfants sous l'Ancien Régime, droit de correction qui a subsisté jusqu'en 1935. Ce droit de correction, c'était la possibilité, pour un parent mécontent de son enfant récalcitrant, d'obtenir du roi ou de ses représentants, sous l'Ancien Régime, des lettres de cachet pour le faire enfermer ou la possibilité, après la révolution, d'obtenir du tribunal son placement dans une maison de redressement. L'État venait donc au secours des pères, lui offrait son bras armé pour exercer sa puissance, voire sa toute-puissance.
Ce soutien apporté par l'État ne l'a pas été sans contrepartie, puisqu'il s'est progressivement arrogé un pouvoir de contrôle sur l'exercice de la puissance paternelle par l'instauration de la déchéance paternelle et d'un certain nombre de mesures de ce type qui ont limité le pouvoir des pères. Ce qui était patent, c'était le pouvoir du père. L'autorité parentale change complètement la donne parce que :
C'est l'exercice de cette mission qui confère des droits aux parents. Pour exercer l'autorité parentale les parents ont le droit de garde, de surveillance, d'éducation. Les droits viennent donc en second lieu par rapport aux devoirs. C'est une révolution mentale qui date de trente ans et que nous n'avons peut-être pas fini d'assimiler. Pendant ces trente ans les rapports entre parents et enfants ont été complètement bouleversés l'autorité des parents est devenue relative à l'exercice de leur mission. On ne corrige plus les enfants, on les éduque. Bon nombre de parents y ont perdu leurs repères et bon nombre de pères y ont perdu leur place parce que si, en effet, la fonction de correction était plutôt celle du père, la fonction de protection est plutôt maternelle. Il a donc fallu que les pères se reconvertissent ou abandonnent la partie. Dans le meilleur des cas on a vu les pères s'adapter, jouer les « papa poule » et partager les fonctions paternelles et maternelles à égalité avec la mère, celles-ci étant exercées par chacun des deux parents dans la meilleure cohérence possible. Dans le pire des cas, les pères ont disparu et les mères se sont retrouvées seules à exercer la double fonction paternelle et maternelle pour le meilleur et, souvent, pour le pire.
L'autorité parentale est donc un pouvoir qui se partage et qui n'existe que pour s'acquitter d'une dette à l'égard des enfants. Si l'on ajoute à cela que nous évoluons dans une société qui recherche de plus en plus la sécurité, les parents ont pour mission de répondre de leurs enfants et de leurs actes, l'autorité étant, là aussi, liée à une notion de responsabilité. Les figures de l'autorité sont donc pensées ici comme figures débitrices d'enfants créanciers, et quand la légitimité de votre autorité repose sur le fait d'être capable de vous acquitter d'une dette, vous êtes jugés, légitimés sur les résultats de vos actes.
Les droits de l'enfant, ce sont des créances des enfants à l'égard de leurs parents et des États dans lesquels ils vivent : le droit à être protégé, à vivre avec leurs parents, à recevoir une éducation... Ce qu'attendent les enfants, c'est que les institutions tutélaires remplissent leurs fonctions.
Le fait étonnant dans les revendications des jeunes, c'est le reproche adressé à la police et à l'école de ne pas les respecter. Que signifie cette question récurrente du respect ? C'est peut-être la question de la reconnaissance d'une place que ne leur donnerait plus l'autorité. Ils demandent à être respectés, à être tenus en respect, le terme étant entendu ici au sens d'avoir quelqu'un à l'oeil, le tenir à une distance respectable et respectueuse qui délimite la place de chacun. Tenir en respect, c'est être respectueux à l'égard d'autrui mais aussi avoir des exigences de respect à votre égard.
Les fondements de l'autorité des adultes sur les enfants se trouvent peut-être dans la capacité de tenir ces enfants en respect, loin de la démagogie et loin de cette conception gestionnaire de l'enfant comme acteur et objet de consommation, et aussi de cette tentation de « ne plus les voir » , « de les virer », de les « mettre dehors » , de les renvoyer à leur propre abandon.
À cet égard, la procédure judiciaire me paraît être est un outil formidable de « mise en respect » en ce qu'elle institue un statut de la parole, une reconnaissance de la parole de celui qui est mis en cause. En effet, quand un jeune est mis en cause pour une infraction, on lui dit : « Tu es prévenu, to ne peux pas échapper à la justice, to es tenu de comparaître, et au besoin to comparaîtras par la force, mais une fois dans le bureau du juge to pourras dire ce que to voudras, ne rien dire, mentir. Toute parole, quelle qu'elle soit, sera entendue et consignée, toute parole aura du poids, prendra sens et elle aura un effet parmi d'autres sur la décision. »
La procédure c'est aussi dire à un jeune : « Même s'il est clair que to es coupable, si tu as été arrêté et interrogé dans des conditions illégales qui ne respectaient pas la liberté de to parole, tu ne peux pas être condamné. »
Dans cette dialectique du respect de la parole et donc du respect de la place du prévenu, de celui qui est assujetti à la procédure judiciaire, il semble qu'il y ait une véritable restitution d'un statut de sujet qui permet aux décisions de justice d'être respectées. C'est moins la possibilité d'exécution par la contrainte, de l'utilisation des pouvoirs de police, que la reconnaissance de la décision prise par le juge en connaissance de cause, c'est-à-dire en ayant été réellement entendu.
Durant mes dix-neuf ans de carrière, que ce soit en assistance éducative ou en matière pénale, les quelques dérapages que j'ai connus sont toujours venus de cette perte de la vigilance quant au respect de la parole, de l'écoute de cette parole, de quelque chose qui pouvait être vécu comme un mépris de l'interlocuteur.
La reconnaissance n'est pas anonyme, elle suppose que l'on ait bien identifié le sujet, elle suppose une relation à autrui, et on constate que les enfants les plus difficiles, ceux qui échappent à tout cadre, qui font exploser les collectivités, sont capables, une fois qu'ils ont été identifiés et entendus, d'établir des rapports fondés sur le respect et dans lesquels l'autorité est reconnue.
En conclusion, l'autorité n'est pas affaire de puissance et encore moins de toute-puissance. L'autorité est une affaire de légitimité et la légitimité est conférée au titulaire de l'autorité parentale par celui qui s'y soumet et en reconnaît le bien-fondé. Les autorités instituées le sont par l'État et par le droit. Encore faut-il qu'ils soient reconnus comme légitimes. La capacité des autorités à exercer cette autorité relève de la reconnaissance du sujet qui y est soumis. Cette légitimité s'acquiert par l'accomplissement du devoir de la dette, qui donne à son tour une créance à l'égard d'autrui.
Autrui est un sujet de droit assujetti au droit, au même titre que le titulaire de l'autorité. C'est un autre soi-même à une autre place, un frère dans l'idéal républicain. Les jeunes revendiquent cette place de sujet qu'ils n'ont pas le sentiment d'avoir, sujets de droit, assujettis au droit et donc redevables d'obligations. De cette exigence et de cette dialectique des droits et des devoirs peut émerger cet ordre social citoyen où les enfants, parties prenantes de cette humanité organisée qu'est une société, y trouvent leurs places de créanciers mais aussi de débiteurs d'obéissance, c'est-à-dire de soumission à l'autorité chargée de les surveiller, de les garder, de les éduquer et de les protéger.
Pouvez-vous préciser la notion d'autorité parentale qui remplace la notion d'autorité paternelle. L'homme et la femme sont à égalité, cependant l'homme a du mal à se retrouver dans cette nouvelle structure parce qu'il ne sait pas très bien jouer le rôle qu'il jouait auparavant. Il semble s'effacer. Vous avez souvent mis en rapport votre réflexion sur la famine avec une réflexion sur la société. On constate que dans la société française, plus on accède à des responsabilités, mois on voit de femmes. Lorsque l'on a affaire a des enfants, on constate que les mères sont présentes quand les enfants sont jeunes, on ne voit apparaître les pères que lorsque la situation devient sérieuse, les mères alors ne sont plus seules. Pouvez-vous préciser ce rôle du père ?
Geneviève Lefebvre
Je parlais mois de rôle que de fonction. On est passé, non pas de l'autorité paternelle à l'autorité parentale, mais de la puissance paternelle à l'autorité parentale. Du côté de la mère on trouve la protection, et l'autorité parentale est référée à la protection. De même que le passage de l'État libéral à l'État providence est le passage de l'État « père fouettard » à l'État « bon père » protecteur et maternant, le passage de la puissance paternelle à l'autorité parentale est un passage de créances à obligations à l'égard des enfants. La fonction parentale a changé. II me semble que les mères se sont retrouvées davantage dans cette fonction de protection - puisque ça a toujours été leur rôle -et que les pères ont dû se réajuster, c'est-à-dire qu'ils y ont perdu leur statut de père fouettard. Aujourd'hui chaque parent exerce conjointement la fonction de protection, d'autorité et d'exigence. Mais certains pères ne peuvent pas assumer. Par exemple, chez les pères Maghrébins la représentation du père maternant est inimaginable.
Ce qui est extrêmement visible dans ces familles d'origine étrangère, se retrouve également dans des familles de souche française qui n'ont pas de distance critique par rapport à leur héritage, et c'est là que i'on constate une disparition des pères faute de trouver de nouveaux modèles.
Cette répartition des rôles avec une fonction un peu plus maternante de la mère répond à un aménagement interne, mais tout cela est censé être avalisé par l'autre.
Martine Gruère
À propos de cette place du père et de la mère, on voit bien qu'elle varie en fonction de l'âge de l'enfant : quand il est petit il y a une fonction maternante de protection, puis, à l'adolescence, c'est l'inverse qui domine. Ce qui me frappe dans les relations au sein des couples c'est qu'il faut négocier, s'entendre. Il y a ceux qui, d'un commun accord, sont arrivés à se donner des places symboliques. À l'école des parents, nous sommes plus inquiets pour les pères que pour les mères ; les femmes ont beaucoup gagné en termes de droits (vote, fécondité), pour les hommes la question est plus difficile et nous les rencontrons moins dans les manifestations diverses que nous organisons, notamment sur les problèmes de l'éducation (réunions de parents). Font-ils le choix d'éviter cette maîtrise ?
Je suis assistant homme de service social. Vous avez parlé de la perte de l'autorité parentale au profit des professionnels qui, dans le domaine de l'enfance, sont largement féminisés : on ne compte que 7 % d'hommes dans les services sociaux et je ne parle pas des crèches. N'y a-t-il pas une perte de l'image de l'autorité également par rapport aux professionnels?
Martine Gruère
Oui, c'est vrai, y compris pour les salaires. Ces métiers sont dévalorisés et font partie des catégories aux plus bas salaires. Les choses sont complexes, et donner existence à une autorité nécessaire du côté des institutions ne peut plus se faire individuellement. Cela ne peut se faire que par un choix commun de règles érigées ensemble, qu'il s'agisse de l'enseignant ou du travailleur social qui va s'adosser à une hiérarchie qui devra être solidaire des décisions qu'il a prises. Du côté des mères, nous encourageons de plus en plus les groupes, les actions collectives. En groupe la parole se répartit mieux, et l'autorité peut mieux s'assumer.
Geneviève Lefebvre
Il est vrai que si l'autorité n'est exercée que par les femmes, c'est de l'autorité maternelle. I1 y a aujourd'hui un problème d'équilibre dans la représentation. Il faut que chacun soit titulaire des mêmes droits et qu'ils ne soient pas exercés en concurrence, mais partagés équitablement. Actuellement, le partage ne me paraît plus équitable.
Je suis assistante sociale à « L'aide sociale à l'enfance ». Dans les familles recomposées, quelle autorité possible pour un beau-père, une belle-mère, une belle grand-mère, un beau grand-père?
Geneviève Lefebvre
En droit aucune. Mais il y a une place à tenir. Le plus compliqué est d'exercer une autorité parentale à distance et de la partager. C'est une fiction du droit qui n’est pas résolue dans les faits. La question des places respectives du beau-père ou du père est la même que celle des parents par rapport au gardien lors d'un placement d'enfant. L'autorité parentale en droit continue à être exercée par les parents tant qu'elle n'est pas incompatible avec le placement. Mais chaque fois que l'enfant est à distance, comment le parent peut-il exercer son autorité et remplir ses devoirs autrement que dans la fiction ? On est parent en exerçant la parentalité. Cette fiction intéressante du droit est extrêmement difficile à concrétiser.
Martine Gruère
Nous avons un service téléphonique pour les grands-parents et nous avons découvert que beaucoup d'entre eux sont interdits d'accès à leurs petits-enfants à la suite d'un divorce, d'une séparation ou d'un deuil. Ils souffrent énormément parce que la nouvelle famille ne veut plus, par exemple, de contact avec le père et ses parents, les grands-parents paternels. Il existe très peu de recours juridiques. On tente de faire évoluer cela à Bruxelles...
Geneviève Lefebvre
Ils ont quand même un droit qu'ils peuvent faire valoir devant les tribunaux.