L’accroissement du nombre d'adolescentes enceintes est un phénomène qui touche de nombreuses sociétés occidentales. Le Québec ne fait pas exception. Le taux de grossesse chez les filles de 14 à 17 ans y est passé de 12,6 à 20,1 pour 1 000 entre 1980 et 1993. En plus de chercher à comprendre les raisons de cette croissance, il devient nécessaire de mieux connaître la situation dans laquelle évoluent ces familles créées au moment oû ni la mère ni le père n'ont habituellement les ressources nécessaires pour soutenir leur nouvelle famille. On y trouve souvent des traits associés aux familles considérées comme à risque de maltraiter leurs enfants: perturbations familiales dans l'enfance des jeunes parents, problèmes d'estime de soi, de dépression, de manque d'habilités parentales, parcours conjugaux et professionnels très perturbés, pauvreté, isolement social.
Ce projet de recherche s'est concrétisé à travers une enquête menée en Montérégie, en 1996, auprès de trente-deux jeunes mères. Recrutées principalement grâce à la collaboration de CLSC et d'organismes communautaires, ces jeunes femmes des régions de Longueuil, d'Acton Vale et de Cowansville ont raconté leur cheminement personnel et familial. Elles ont également commentées l'évolution de leur réseau de soutien, de la période ayant précédé la grossesse jusqu'au moment de l'enquête, alors qu'elles étaient majoritairement dans la vingtaine.
L'enquête confirme le fait que l'existence des mères adolescentes est généralement très difficile. Celles qui ont été rencontrées ont donné naissance à un premier enfant entre 14 et 19 ans. Au moment de l'enquête, en moyenne sept ou huit ans plus tard, vingt-six mères sur trente-deux avaient plus d'un enfant; quatre mères en avaient quatre, deux en avaient cinq et une mère avait sept enfants. La moitié de celles qui ont eu plus d'un enfant les ont eus de conjoints différents. Dans l'ensemble, vingt mères ont connu la monoparentalité. Quatorze sur trente-deux n'avaient pas de conjoint au moment de l'enquête. Trente d'entre elles avaient quitté l'école après la cinquième année du secondaire, et dix-neuf avaient abandonné après la troisième année du secondaire. La moitié des mères rencontrées (seize) vivaient des prestations de la sécurité du revenu. Parmi les autres, seulement cinq avaient un travail salarié. La pauvreté, une résidence en zone défavorisée, de nombreux déménagements marquent l'existence de bon nombre de ces mères.
L'analyse des résultats de l'enquête est en cours, mais certains travaux spécifiques ont déjà été réalisés. Par exemple, une première analyse du cheminement personnel et familial de ces mères a permis de comprendre que les problèmes qui finissent par surgir ne se distribuent pas au hasard. Il devient vite évident qu'après quelques années certaines semblent résolument engagées à prendre en mains leur destinée alors que d'autres, à l'opposé, paraissent toujours être en proie à de grandes difficultés.
Le premier groupe est composé de celles qui s'en sortent le mieux à long terme. Ce sont celles qui, au moment de la naissance de leur enfant, ne feront qu'une courte pause avant de continuer d'étudier ou de travailler. Ces femmes plutôt sociables ont vécu une adolescence marquée par la révolte et les conflits familiaux. Mais leur grossesse conduit à une importante remise en question. Même Si des années de difficultés et de sacrifices suivent la naissance de leur enfant, elles réussissent toujours à conserver un certain réseau social et à compter sur leur famille, malgré de nombreux conflits persistants. Avec les années, elles développeront leur sens des responsabilités. La rupture avec le père de l'enfant, un amour d'adolescence, sera souvent suivie d'une mise en couple avec un nouveau conjoint “responsable”. Selon l'enquête, on peut dire qu'elles se sont assez bien sorties de leurs problèmes.
Le deuxième groupe est formé de celles dont l'existence est marquée de grandes difficultés qui persistent à long terme. Leur enfance a été plus perturbée que celle des précédentes. A l'adolescence, elles vivent davantage le retrait social que la révolte. L'arrivée de l'enfant est souvent perçue chez elle comme un aboutissement, l'acquisition d'un statut social, et surtout comme une façon de remplacer le lien affectif absent dans l'enfance. Les femmes de ce groupe ont rarement réfléchi aux responsabilités qui les attendaient. Elles estiment posséder l'expérience requise pour “aimer leur enfant” et prennent peu conseil de leur entourage. En fait, même plusieurs années plus tard, ces femmes n'ont jamais effectué de véritable remise en question personnelle. Se succèdent souvent dans leur existence des conjoints “ à problèmes”. D'après les données de l'enquête, elles sont toutes dépendantes des prestations de la sécurité du revenu et estiment que cela constitue leur salaire de mère au foyer. Ce sont celles qui ont le plus d'enfants. Elles remettent toujours à plus tard une éventuelle insertion sur le marché du travail ou un retour aux études. Mais un autre enfant, la plupart du temps d'un conjoint différent, arrive souvent pour contrecarrer ces plans.
Entre ces deux situations, un cheminement intermédiaire a aussi été identifié. Les caractéristiques des femmes de ce groupe ressemblent beaucoup à celles des précédentes: une enfance difficile, un certain retrait social, l'enfant qui vient combler un manque affectif. Mais les difficultés conjugales et matérielles qui suivent la naissance de l'enfant se traduisent par un sentiment de désenchantement qui conduira à une importante remise en question. Mal à l'aise par rapport à une dépendance prolongée envers l'aide sociale, et même envers un conjoint, elles se prendront peu à peu en mains. Leur présence dans notre population d'enquête vient bousculer les idées préconçues selon lesquelles, pour celles qui connaissent une maternité adolescente après une enfance très perturbée, tout serait déjà joué, pour le pire.
L'enquête a livré aussi d'autres résultats surprenants. Par exemple, elle met en évidence le rôle prépondérant de la mère de l'adolescente dans l'ensemble de la dynamique. Par exemple, c'est souvent elle qui insiste le plus pour que l'adolescente garde l'enfant, en lui promettant de l'aider jusqu'à ce que l'adolescente cherche a s’émanciper et à devenir une adulte à part entière. Aussi, il n'est pas rare que le nouvel enfant devienne l'enjeu d'une lutte d'appropriation entre sa mère et sa grand-mère, alors que son père est rarement invité à prendre ses responsabilités. Si la paternité devient à la mode dans les discours sociaux, elle ne semble pas concerner les pères adolescents. En termes de prévention, ces résultats nous entraînent vers de nouvelles pistes: vers les parents de ces adolescentes, prompts à garantir une aide qui ne saurait durer, et vers ces jeunes hommes, prompts à disparaître du décor. L'analyse des données se poursuit et débouchera sur d'autres projets au second volet de cette recherche.
Tiré de: recherche sociale, vol 5 numéro 1, avril 1998, CQRS